Anne Mangot de Villarceaux à Richelieu, Nancy, 13 novembre 1635.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Correspondance Politique Lorraine, vol. 28, f° 128-129. Original autographe. Suscription au f° 129 v° : « à Monseigneur ». 

Monseigneur,

Le convoi qui est parti de Bar le 9 est composé de charrettes levées toutes dans le Barois. Il est arrivé en bon état à Nancy le 12. Il est de 2237 septiers de blé et de 551 charrettes. J’envoie à Monsieur de Chavigny un état bien particulier par lequel il se connaîtra où les blés ont été pris. Dans le 20 du mois prochain, je puis mettre un autre convoi en état de partir. Il pourra n’être pas d’un si grand nombre de charrettes, à cause que l’évêque de Verdun [François de Lorraine-Chaligny] est dans le bailliage de Saint-Mihiel, ce qui fait qu’il est malaisé d’envoyer contraindre les villages à fournir les chais, lesquels par l’approche de l’ennemi ont moins d’obéissance. Je ferai néanmoins tout mon possible pour le rendre le plus grand qui se pourra.

J’ai estimé à propos d’accompagner ce convoi pour reconnaître le pays, les passages et l’état de la province. Je n’ai pas trouvé les chemins mauvais ni qu’ils le doivent extrêmement dans l’hiver, fors à Liverdun où il y a une montagne et descente fort fâcheuse. Il n’est pas que Votre Éminence n’ait été avertie des brigandages qui se commettent en tous les endroits de la province par nos gens, même sur ceux du même parti. L’impunité qui est venue du manquement de prévôt a causé ce mal ou l’a notablement augmenté. En chemin faisant, à Saint-Aubin, j’ai reçu plainte que les carabins de La Fleur, qui a une compagnie en ce lieu-là, commettaient toutes sortes de voleries et étaient coutumiers de dépouiller les passants. J’ai fait le procès à quatre des plus méchants qui ont été pendus à Toul. J’ai condamné sa femme au bannissement et en de bonnes amendes pour avoir été participante de ces voleries. J’ai arrêté le mari auquel je fais le procès. Je n’ai pas pu le condamner sur le crime des quatre qui ont été exécutés, pour ce qu’il était absent de Saint-Aubin lorsqu’ils l’ont commis.

Il est nécessaire que nous ayons un bon prévôt des maréchaux dans le Barrois. Celui qui l’est n’est point soldat du tout. Il est du pays, et par conséquent <…> depuis le temps qu’il y a que je suis dans la province, il n’a pas fait une seule capture. Il a toujours été dans son village bien à son aise, et néanmoins il a 1500 livres de gages et trente archers bien payés à cent écus par an, qui font aussi peu que lui. Le prévôt des maréchaux d’Étain est avec le duc Charles et ses archers. Il faut aussi faire pourvoir un autre de sa charge et le mettre à Commercy. Le prévôt a 12 archers. Deux bons prévôts en ces postes-là doivent tenir tout le pays, <…> des volontaires qui se commettent. Je crois, Monseigneur, que M. de Chavigny aura fait de ma part une proposition à Votre Éminence.

J’ai eu ordre du Roi de prendre le plus de blés que je pourrai sur les ennemis. Ensuite de quoi, j’en ai enlevé et fait conduire à Nancy jusqu’à 300 setiers. J’ai étendu mes ordres encore au-delà et ai pris d’argent comptant sur les ennemis 7000 livres. Je puis bien recouvrer ses sommes plus notables avec le temps. Si Votre Éminence trouve bon que tout ce petit fonds-là, et celui que je pourrai faire, soit employé à la subsistance et entretènement des soldats malades de l’armée, je me promets que sans toucher à la bourse du Roi, tous les soldats malades de l’armée pourront trouver un notable soulagement par ce moyen-là. Si le Roi a agréable l’emploi de ces sommes-là et de ces blés en ce bon œuvre, le lieu de l’hôpital sera bien plus commode qu’à Nancy.

J’ai écrit amplement au Roi en réponse des commandements que j’avais reçus de Sa Majesté touchant Madame de Laimont. Il n’y a point eu ma faute s’ils n’ont été exécutés. Je reçus la dépêche du Roi le vendredi à <…> heures du soir. Elle partit le lendemain à la dérobée à huit heures du matin. Les dames de Florainville, Gastinois, Froville et Belrupt sont à Ligny. Leurs maris sont avec le duc Charles .¹

Pour ce qui est des blés dont Votre Éminence <ordonna> être fait de grands achats dans Verdun, il s’en trouvera une quantité par le soin que prend Monsieur le marquis de Fossez de les y faire conduire. Le seul endroit de la province où j’ai vu régner la justice, le service du Roi et le bon ordre [est] dans Bar, Clermont et Ligny. Il se doit trouver encore beaucoup de blés que l’on y conduit tous les jours, et quand ils y seront conduits, il faut perdre non pas les bléss des pauvres gens et du peuple, mais de ceux qui en achètent pour en revendre. Quand j’aurai les ordres du Roi, il sera bien aisé d’exécuter cela. Je suis, Monseigneur, de Votre Éminence, très humble, très obéissant serviteur,

Villarceaux

De Nancy, ce 13 novembre 1635.

Marie-Catherine Vignal Souleyreau

Docteur en Histoire, ingénieur d'études à Sorbonne Université, Faculté des Lettres, Institut de Recherche sur les Civilisations de l'Occident Moderne (IRCOM - Centre Roland Mousnier)

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1. François de Savigny, seigneur de Laimont – ou Leymont – ; François de Florainville, seigneur de Cousance ; Antoine de Gastinois – ou Gâtinois -, seigneur de Drouville ; Gaspard de Bildestein – ou Bildstein, seigneur de Froville ; et Monsieur de Belrupt, sont tous les lieutenants du duc Charles IV et ont pris les armes pour lui. Concernant Monsieur de Belrupt, il est identifié comme Georges II du Houx de Belrupt – ou Berru, Béru -, en 1650, par Jean-Charles Fulaine, Le duc Charles IV de Lorraine et son armée, Metz, Éditions Serpenoise, 1997, p. 155. [↩]