Récit de la bataille de Saint-Jean-de-Losne, rédigé par le prince de Condé le 6 novembre 1636.

Ministère des Affaires étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Correspondance politique Allemagne, volume 14, fol. 198-203. Le document accompagne le texte précédent, mais n’a été pas conservé dans la même sous-série de la collection Correspondance Politique.

Relation de ce qui s’est passé depuis l’entrée des ennemis en Bourgogne, et au siège de Saint-Jean-de-Losne.

Le général Gallas ayant assemblé une puissante armée sur la frontière du comté de Bourgogne, composée de plusieurs autres petites armées jointes ensemble, savoir de celles qu’il commandait à Drusenheim, d’une autre qui a campé pendant l’été dernier près de Strasbourg, de celle du duc Charles [de Lorraine], et d’une autre armée nouvellement tirée de Silésie par l’Empereur pour jeter en France, conduite par le général Butler, Écossais¹, et par le marquis de Saint-Martin, maréchal de camp, le tout faisant de vingt-cinq à trente mille combattants, et un nombre étrange de femmes et enfants, avec six canons de batterie et trente-six autres pièces de diverses calibres, décampa de <Chanite> le XXII^e du mois d’octobre, et prit sa marche du côté de Saint-Seine-sur-Vingeanne.

Le XXII^e, l’avant-garde conduite par le duc Charles passa ladite rivière et fut camper devant le bourg de Mirebeau.

Le XXIII, elle assiégea ledit bourg, aucunement retranché par les habitants et par deux compagnies de la milice de Bourgogne qui étaient dedans en garnison. L’attaque en fut faite presque de main à main, les ennemis s’étant attachés à rompre les palissades à coups de haches, brûler la porte du bourg, et dresser des échelles contre la muraille, ce qu’ils faisaient avec facilité, n’y ayant ni fossé ni pont-levis, ni parapet à la muraille, qui n’est qu’une simple clôture, comme d’un jardin. Le combat fut opiniâtre plus de douze heures, et y eut bien trois cents des ennemis tués ou blessés.

Les habitants et la garnison se retirèrent au château, lequel n’a point d’autre fortification que d’une élévation sur une motte, sans aucun fossé, ni flanc qui la défende, et ayant tenu bon un jour entier, après quelque cents volées de canon tirées contre ledit château, ils capitulèrent à vie et biens sauvés.

Le XXIIII^e, l’armée du Roi, commandée par MM. le cardinal de La Valette et duc de Weimar se rendit en la plaine de Mirebeau à la vue de l’avant-garde des ennemis. La nuit audit jour, l’arrière-garde conduite par Gallas passa la rivière de Vingeanne, et joignit son avant-garde.

Le XXV, XXVI, et XXVII^e, toute l’armée de Gallas passa les rivières de Bèze, des Tilles et d’Ouche, avec des incommodités incroyables pour le canon et les bagages, et les Croates coururent tous ces jours jusqu’aux portes de Dijon.

Pendant ces trois jours, l’armée du Roi logea ès villages de Spoy, Lux et autres lieux à côté des ennemis, envoyant plusieurs parties à la guerre pour observer leur démarche.

Le XXVIII, M. le Prince arriva à Dijon à la nuit, fit savoir à l’instant son arrivée à Messieurs les généraux avec avis d’amener toute l’armée en diligence aux environs de Dijon pour suivre de plus près les ennemis qui avaient sur eux deux journées d’avance (ce qui fut exécuté dès le point du jour du lendemain).

Ledit jour XXVIII^e, ceux de Saint-Jean-de-Losne furent sommés par un trompette de se rendre à Gallas, général des armées de l’Empereur et d’Espagne et au duc de Lorraine, à faute de quoi, l’on leur déclarait qu’ils seraient assiégés par une puissante armée de quarante mille hommes, et battus de six-vingts [cent vingt] pièces de canon.

Le XXX, lesdits sieurs cardinal de La Valette et duc de Weimar étant venus à Dijon, il fut tenu conseil, où l’on résolut que l’armée s’avancerait encore par-delà Dijon, et prendrait quelque poste entre Auxonne, Saint-Jean-de-Losne et Beaune, pour se porter où le besoin le requerrait, sur ce que, probablement, les ennemis avaient dessein sur l’une de ces trois villes, ce qui fut exécuté à l’instant, M. le Prince étant monté à cheval pour leur montrer les logements qu’ils devaient faire et leur donner la connaissance du pays à vue d’œil.

Et parce que la ville de Saint-Jean-de-Losne était, à ce qu’il semblait, plus menacée qu’aucune autre, l’on dépêcha à l’heure même M. le marquis de Tavannes, pour y conduire avec un corps de cavalerie qui lui fut donné, le sieur Descoutures, sergent de bataille, avec six compagnies du régiment de Conti, et celle du sieur de La Béluze, capitaine d’un autre régiment, avec ordre de prendre leur chemin par Bellegarde et de conduire avec eux deux milliers de poudre, autant de plomb et autant de mèche, que M. le Prince leur fit donner. Le régiment de Verderonne fut établi, commandé pour Beaune, et y fut conduit par ledit sieur de Tavannes.

Le XXXI au matin, M. le Prince eut avis de divers endroits que les ennemis allaient à Saint-Jean-de-Losne, mais particulièrement par un soldat de la compagnie de Conti qui traversa toute l’armée des ennemis, envoyé par le sieur de Machaut, capitaine audit régiment de Conti, qui commandait dans la place, lequel apporta nouvelles que depuis le mardi matin, ladite ville était investie et que la garnison, par deux sorties, avait fait quitter aux ennemis le logement de Saint-Usage, tué quelque soixante hommes et emmené dix prisonniers dans la ville, entre autres un lieutenant de cavalerie qui les assura du Liège, et que le duc Charles y était logé à Brazey, et qu’il devait être suivi de Gallas.

Il manda aussi à M. le Prince que ceux de la garnison de ladite ville qui était composée de huit compagnies du régiment de Conti, bien que fort faible à cause de la peste qui les avait grandement travaillé, ayant tué plus de la moitié des soldats, et de laquelle le sieur de Saint-Point, capitaine audit régiment qui devait commander, était frappé et malade à l’extrémité, étaient résolu de bien faire et que les habitants qui pouvaient être au nombre de deux cents, les secondaient avec grande affection, jusqu’à avoir résolu que le premier qui parlerait de se rendre serait jeté dans la rivière, et qu’en cas que l’on fût contraint de céder à la force des ennemis, qu’en toute extrémité, l’on mettrait feu en tous les endroits de la ville pour ôter le moyen aux ennemis de profiter d’une grande quantité de blés et autres vivres qui étaient en icelle et que l’on se mettrait dans des bateaux pour tâcher de gagner la ville de Bellegarde.

Ledit jour XXXI^e, M. le Prince résolut avec M. de Ramssaut [sic, Rantzau], maréchal de camp, que le lendemain, premier du mois, il partirait avec la compagnie de gendarmes de M. le duc d’Enghien, commandée par M. de Valençay, capitaine lieutenant de ladite compagnie². Les chevaux légers de M. le Prince commandés par Mauville [Mauvilly], cornette, et les sept compagnies de chevaux légers du régiment de cavalerie d’Enghien, avec la cavalerie dudit sieur de Ramssaut, et sept à huit cents mousquetaires, au nombre desquels devaient être une partie du régiment d’infanterie dudit sieur de Ramssaut, et autres de l’armée, qui furent donnés par ordre de M. le cardinal de La Valette, iraient en toute diligence à Auxonne, pour de là se jeter dans Saint-Jean-de-Losne et que ledit sieur de Ramssaut emploierait ladite cavalerie comme il le trouverait bon, même à mettre pied à terre pour défendre la ville.

Ce même jour, M. le Prince fut à l’armée, où l’on résolut les mousquetaires qui seraient donnés audit sieur de Ramssaut pour l’exécution de son dessein.

Le premier du mois de novembre, les ennemis, après diverses sommations faites aux assiégés, commencèrent à jeter plusieurs bombes dans la ville et tirer quelques volées de canon à mesure qu’ils mettaient les pièces en batterie.

Ce même jour, M. de Ramssaut partit sur le tard avec les troupes qui lui furent données et traversa les rivières de Tille avec des peines incroyables, ayant l’infanterie passé plusieurs bras desdites rivières dans l’eau jusques au col et la cavalerie perdit huit ou dix cavaliers qui se noyèrent.

Il marcha toute la nuit, força deux ou trois corps de garde de cavalerie en passant, donna la chasse à quelques régiments qui étaient en garde et continuant son chemin arriva à Auxonne, sur les sept heures du matin du deuxième du mois, où le sieur de Miraumont avait fait tenir prêts forces vivres et des bateaux pour l’infanterie, desquels toutefois, on ne se servit pas, et envoya un petit bateau à six rames donner avis à ceux de Saint-Jean-de-Losne de la venue du secours.

Le deuxième du mois, dès le point du jour, huit pièces de canon commencèrent à tirer en batterie, et continuèrent incessamment jusque sur les trois heures du soir à battre la muraille à main droite, en entrant dans la ville, qui était l’endroit le plus faible.

Ce même jour, environ une heure après midi, le sieur de La Mothe-Houdancourt jeta dans la ville soixante mousquetaires de renfort, commandés par le sieur de Loyac, lieutenant en son régiment.

Sur les avis que les ennemis eurent du passage des troupes du sieur de Ramssaut, ils pressèrent l’attaque de la place, de sorte qu’après avoir tiré de quatre à cinq cents volées de canon, ce jour-là, ils résolurent d’essayer de forcer la ville.

Sur les trois heures, ils jetèrent deux grands bataillons d’infanterie dans la prairie, lesquels, après le signal donné, s’avancèrent, l’un à la brèche, et l’autre à une terrasse qui est au-devant de la porte de Dijon, et n’est ni fossoyée, ni palissadée, mais qui a été seulement un peu escarpée et taillée en demie lune par ceux de la garnison depuis qu’ils y sont et <…> autre parapet que des barriques.

La brèche fut attaquée fort courageusement, et aussi courageusement défendue par une partie des soldats de la garnison, une partie des habitants et soixante hommes venus de Bellegarde, et ne fut pas jusqu’aux femmes qui n’y fissent des merveilles à jeter des pierres et porter du rafraîchissement aux soldats. Mais comme elle n’était pas encore bien raisonnable, étant la muraille encore haute de douze pieds, le fossé n’étant pas comblé, y ayant beaucoup d’eau dedans, et une palissade toute entière, que le canon n’avait pu voir, laquelle les ennemis essayaient de rompre à coups de haches, ils n’y purent pas beaucoup avancer, et tout ce qui s’y présenta fut tué ou blessé, outre qu’ils étaient vus en flanc tout à découvert de la demi-lune qui était au-devant de la porte.

Le combat fut beaucoup plus douteux en la demi-lune, laquelle était défendue par Bréquigny, enseigne de la M^e de camp de Conti, avec cent soldats, et quelques habitants, d’autant qu’étant sans fossé et sans palissades, les ennemis y montaient, et venaient aux mains de tous côtés, et s’y opiniâtrèrent tellement qu’ils renversèrent plusieurs des barriques, et donnaient d’autant plus de peine aux nôtres qu’ils étaient renforcés de moment à autre de ceux qui étaient rebutés de la brèche, qui accouraient tous à la demi-lune. Et, néanmoins, ils en furent repoussés aussi bien que de la brèche et si fort mal menés que sur la fin ceux que l’on envoyait pour les rafraîchir fuyaient de tous côtés au lieu de s’approcher, quoique les chefs les y poussassent à coups d’épées.

Les ennemis perdirent en ces deux attaques plus de quatre cents hommes, morts sur la place, et ne purent faire autre chose que se loger au pied d’une contrescarpe ruinée, qui autrefois avait été faite aux environs du fossé de la ville. Ceux qui y furent présents, ou qui entendirent la mousqueterie, disent que cette attaque avait été aussi rude qui s’en soit faite il y a longtemps. Gallas en fut spectateur en personne, et fit avancer ce jour-là toute son armée, avec résolution d’emporter la place à perte d’hommes, à quelque prix que ce fût.

Le même jour, deuxième dudit mois, M. de Ramssaut entra dans la ville, lui dixième, à neuf heures du soir. Il fut à l’instant visiter la brèche et la trouvant en bon état, il la fit quitter aux soldats pour la bailler à garder aux habitants et mena les soldats qui étaient à ladite brèche pour renforcer la garde de la demi-lune.

Peu après entrèrent les troupes qu’il avait amenées audit <…>.

Il fit reposer toutes ses troupes la nuit, et le lendemain, au point du jour, après avoir fait conduire cinq petites pièces sur la demi-lune, il fit faire une sortie de quatre cents hommes sur un logement qui était tout proche ladite demi-lune, au coin d’une levée qui aboutit à icelle, où étaient quelque quatre cents hommes des ennemis en garde, lesquels ayant aperçu les nôtres, firent leur décharge tous à la fois, et après prirent la fuite aux batteries qu’ils ne purent si promptement gagner qu’il n’en demeurât plus de deux cents sur la place, trente cavaliers des nôtres qui étaient sortis au même temps (la situation du lieu n’ayant pas permis d’y employer plus de cavalerie) s’étant mêlés parmi eux, et donné loisir à l’infanterie de les laisser en pièces.

En même temps, trois escadrons de cavalerie des ennemis vinrent recueillir leurs gens et s’étant avancés pour charger nos trente maîtres, l’on leur détacha les cinq pièces de la demi-lune, qui firent tomber beaucoup de gens de leurs escadrons. Parmi ces trente maîtres était le lieutenant-colonel dudit sieur de Ramssaut, qui y fit des merveilles, et eut un coup d’épée au bras gauche, apprès avoir perdu son cheval sous lui.

L’on reconnut à la sortie, que dès la nuit, les ennemis avaient retiré leur canon des batteries et faisaient filler toutes leurs troupes, ce qui obligea ledit sieur de Ramssaut de commander que toute la cavalerie repût pour se mettre à la suite des ennemis.

La cavalerie ayant repu, partit de la ville sous la conduite dudit sieur de Ramssaut, et suivit les ennemis jusqu’à la nuit, tuant tout ce se rencontra écarté, et faisant prendre la fuite plusieurs fois aux escadrons qui faisaient la retraite, desquels il y eut plus de six vingts hommes tués et plus de cent prisonniers.

En cette poursuite parut un cavalier fort bien monté, l’épée à la main, lequel s’étant détaché d’un escadron, s’avança tout seul, appelant à lui ledit sieur de Ramssaut, ce qu’entendant, il partit à l’instant de son escadron. Après avoir remis son pistolet dans le fourreau, il s’avança l’épée à la main audit cavalier, qui le voyant venir, laissa tomber son épée, laquelle était attachée à son bras avec un ruban, et prit son pistolet qu’il <relâche> sur ledit sieur de Ramssaut et regagna à toute bride son escadron, sans que ledit sieur de Ramssaut en pût avoir autre raison que de lui reprocher sa lâcheté. Tous les prisonniers assurent que ce cavalier était le duc Charles.

La nuit fait cesser les poursuites dudit sieur de Ramssaut, il se retira à Saint-Jean-de-Losne, et le lendemain se remit encore à la suite des ennemis, qu’il poursuivit continuellement, tuant de tous côtés ceux qui s’écartaient jusqu’au nombre de quatre à cinq cents, prit près de deux cents prisonniers et traversant entre l’avant-garde et l’arrière-garde de l’ennemi, pour regagner Dijon, et venir joindre l’armée afin de s’y trouver si l’on attaquait celle des ennemis au passage des rivières de Tille. Il arriva à Dijon à neuf heures du soir.

C’est une chose presque incroyable que toutes les plus considérables forces de l’Empire, commandées par les principaux chefs de l’Empereur aient été arrêtées par une petite ville qui n’est pas composée de trois cents feux, n’est fermée que d’une simple muraille, et n’a aucune fortification, et qu’ils y aient perdu un grand nombre de personne, s’étant bien trouvé huit cents hommes morts à mille pas aux environs de la ville, et couru fortune de perdre leur canon.

Ledit sieur de Ramssaut s’est signalé en cette occasion par toutes les preuves de courage, grande conduite et diligence extraordinaire que l’on saurait désirer en un chef et dans la ville. Les sieurs de Machaut, capitaine au régiment de Conti, de Bréquigny, enseigne de la M^e de camp, et Barette, aide-major dudit régiment, et autres chefs y ont très dignement servi et fait fort courageusement ce qu’ils étaient obligés de faire en ce rencontre.

L’importance de cette place était telle que la prise apportait une perte infaillible de la plus grande partie de la province et donnait entrée aux ennemis par un pont sur la rivière de la Saône, au milieu d’icelle, et dans le meilleur pays, laissant peu d’espérance de le pouvoir reprendre qu’avec grand peine, à cause du voisinage du conté, auquel elle touche, et n’est distante de Dole que de deux lieues et demie.

1. Butler est en réalité d’origine irlandaise, et non écossaise. [↩]
2. Peut-être s’agit-il de Dominique d’Estampes-Valençay, ou de son frère Henri d’Estampes-Valençay, chevalier de Malte comme Claude de Miraumont. [↩]

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