Richelieu à Louis XIII, Conflans, 21 juin 1636.

Texte publié par Denis-Louis-Martial Avenel, Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du cardinal de Richelieu, Paris, Imprimerie Nationale, 1853-1877, en 8 volumes, Collection des documents inédits de l’histoire de France, tome V, p. 487-488 d’après l’original sans signature de la main de Denis Charpentier. Le même jour, Richelieu adresse un autre courrier à Richelieu (texte 631 en ligne), également publié, sans la réponse du Roi, par Denis-Louis-Martial Avenel, (ibidem, p. 485-466). Le texte permet de mieux apprécier les querelles d’autorité dans l’armée de Louis XIII et peut expliquer le mécontentement du comte de Soissons à propos de la conduite des opérations militaires, puis le complot ourdi par le comte de Soissons et le duc d’Orléans, avec la complicité du comte de Montrésor, au mois d’octobre suivant. Il affirme nettement l’autorité royale et sa prévalence sur la hiérarchie nobiliaire. On peut noter que le Roi ne tient pas compte de la recommandation formulée par Richelieu à la dernière phrase.

Au Roi.

De Conflans, ce 21 juin 1636.

Il vient d’arriver un courrier de Monsieur le Comte qui ira demain trouver Votre Majesté, pour la supplier d’ordonner à Monsieur le cardinal de La Valette de lui obéir s’ils se joignent ensemble. Je lui ai dit que Votre Majesté avait pris une résolution contraire, que son intention était que chaque général commandât son armée séparément quand ils se joindraient, et que Monsieur le cardinal de La Valette et Monsieur de Weimar en usaient ainsi ensemble, qu’il n’est point question de la différence des qualités en cela, mais des pouvoirs qu’on avait de Votre Majesté ; que non seulement avait-on vu des princes du sang joints à des armées qu’ils ne commandaient pas, mais en des armées où des maréchaux de France les commandaient ; qu’il fallait par raison  qu’il y eût quelque différence entre les princes de sang et Monsieur [le duc d’Orléans], que c’est tout ce que vous pourriez faire pour Monsieur que de lui donner pouvoir de commander toutes les armées qui se joindraient à lui s’il avait emploi de Votre Majesté. 

Votre Majesté peut répondre, si elle le trouve bon, au sieur de Prugnes¹, qui l’ira trouver, qu’elle a déjà fait savoir sa volonté à Monsieur le Comte, qui est que chacun commandera son armée, qu’elle l’a fait non par considération des qualités, mais par raison d’État, qui ne permet pas qu’un seul général commande toutes les forces d’un royaume, ce qui pourrait arriver si les généraux d’armée de moindre qualité devaient toujours se soumettre aux plus grands. J’ai parlé comme il faut au sieur de Prugnes, et lui ai dit toutes ces raisons avec tant de franchise que je ne lui ai point celé que pour rien du monde je ne conseillerais à Votre Majesté de changer sa résolution.

Votre Majesté, lui parlant de même, il aura grand tort s’il se résout à ne vouloir pas servir, auquel cas elle ne manquerait pas de généraux. Je crois qu’il est de votre bonté, en témoignant absolument votre volonté, de ne la dire pas avec aigreur. 

Ce gentilhomme dit qu’il y a 8 jours que les Polonais et les Cravates sont allés trouver Galasse [Gallas]. Votre Majesté brûlera, s’il lui plait, ce mémoire, selon sa coutume, après s’en être servi.

1. La mention du « sieur de Prugnes » a fait l’objet de nombreuses confusions. Gentilhomme de la Maison du comte de Soissons, il peut être confondu avec Guillaume de Billon, seigneur de La Prugne, maréchal des logis de Richelieu, ou avec Jérémie de Billon, seigneur de La Prugne, auteur de traités militaire. [↩]

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