Les représentants du clergé régulier à Richelieu, Paris, 15 ou 25 avril 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 802, f^° 127-142. Le texte original a été publié, avec la date du 26 avril 1632, à l’époque même des débats dont il est l’objet, dans Lettre de Monseigneur l’éminentissime cardinal duc de Richelieu, à Monsieur l’évêque de Bellay, sur le sujet des Religieux, avec la réponse dudit sieur évêque de Bellay, ensemble la lettre des Religieux à Monseigneur le Cardinal, à Paris, chez Sébastien Cramoisy, en 1633, p. 18-48 ; et dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 168-182.

Monseigneur,

L’on a toujours vu que les âmes généreuses, en qui Dieu a conjoint les perfections de Sa Grâce avec celles de la nature, pour se glorifier en ces chefs d’œuvre de sa main, n’ont point eu de plus forte passion que d’employer leur autorité et leur courage pour maintenir une sainte concorde dans l’Église. Les anges, en la naissance du Sauveur, nous apprennent que le comble de leurs contentements est de voir Dieu honoré dans le Ciel par le service qu’ils lui rendent, et la paix établie en Terre entre les hommes de bonne volonté, qui vivent comme en un paradis. C’est d’où leur vient ce mouvement, qu’ils ont avec tous ceux que l’Évangile appelle les serviteurs de ce grand père de famille, d’arracher l’ivraie que son ennemi a épandu sur la semence, et c’est ce qui leur fait dire ces paroles de véhémence et de ferveur : « Seigneur, voulez-vous nous permettre que nous allions tout maintenant ôter cette mauvaise herbe, et en nettoyer votre champ ? » Sur quoi se présentent plusieurs remarques dignes de considération.

La zizanie est le symbole de la division que fait l’hérésie en la foi, et le schisme en la charité. Mais tant s’en faut que ces discordes doivent faire perdre l’espérance de voir fleurir la doctrine et la piété, que plutôt elles nous en donnent l’attente. La zizanie paraît, comme dit l’Écriture, au même temps que le blé pousse et monte en épi. Le soin avec lequel Satan invente ces malices montre qu’il se prépare pour arrêter le progrès, ou amoindrir les fruits d’une grande bénédiction et de quelque nouvelle fertilité, de laquelle Dieu veut enrichir son Église. Il ne manque pas aussi de pourvoir d’un secours extraordinaire en ce besoin, et d’animer quelque esprit excellent, pour apaiser ces différents, par le juste ressentiment du dommage qu’ils apportent. Monseigneur, toutes vos actions publient que la divine providence vous suscite pour être le puissant génie et l’ange tutélaire de l’équité et de la paix en ce siècle où les dissentions ont jeté de fortes racines. Et maintenant nous sommes obligés d’en remarquer une preuve fort signalée, en ce qu’il vous a plu prendre soin de faire cesser la rumeur que cause l’impression de quelques écrits, qui pouvaient altérer la bonne intelligence entre nos seigneurs les évêques et les religieux, en quoi vous avez fait voir l’avantage, que votre éminente vertu vous donne sur les esprits, qui savent reconnaître combien vous vous servez utilement de ce pouvoir pour le bien de ceux qui s’y soumettent. Et encore que votre dignité les y oblige, ils vous rendent ce devoir avec tant d’affection et de confiance, qu’il paraît clairement que ce n’est pas un effet d’un respect humain, mais d’une haute grâce que Dieu veut opérer par votre ministère, puisque lui seul sait contenter et captiver les cœurs par la douceur d’une liberté raisonnable.

Nous ne doutons pas, Monseigneur, que Messieurs les prélats ne nous témoignent l’estime qu’ils font de la peine que vous avez prise d’entendre et de voir par écrit les protestations de notre parfaite volonté à les honorer, et à leur rendre une très humble obéissance. À quoi nous nous sommes portés avec joie et promptitude aussitôt que nous avons su qu’il vous plaisait nous faire la faveur de recevoir entre vos mains le témoignage de notre observance perpétuelle vers ces sacrées colonnes qui soutiennent l’Église. Ces véritables successeurs des apôtres, ces oints du Seigneur, qui approchent de plus près de la fonction principale que lui-même a exercé d’être le pasteur et l’évêque de nos âmes, ils sont les médiateurs entre Dieu et les hommes, les dispensateurs de ses divins mystères et sacrements, et les chefs de l’ambassade de salut pour notre réconciliation. Ce sont ces prééminences de cette dignité incomparable qui nous ont porté, Monseigneur, obéissant à vos commandements et à nos consciences, à condamner et improuver les livres, les paroles, et même les pensées qui pourraient offenser des personnes élues en un tel grade, si proches du trône de Dieu, duquel ils nous représentent la Majesté et la puissance. Et pour faire voir clairement la sincérité de nos intentions, nous déclarons que nous ne devons et ne pouvons annoncer la sainte parole sans leur licence, ni administrer le Sacrement de pénitence sans leur approbation, conformément au Sacré Concile de Trente, que le Saint Siège propose pour le règlement de l’Église. Aussi vous n’approuveriez pas que Messieurs les évêques nous en voulussent interdire l’usage. 

Encore que saint Pierre ait eu l’honneur que le fils de Dieu soit entré en sa barque, au temps de cette grande pêche sur le lac de Génésareth¹, il ne dédaigne pas, avec les autres apôtres qui l’accompagnent, d’appeler ceux qui sont dans un vaisseau proche du leur, pour les aider à tirer leurs filets et prendre leur part de la prise, qui presque les fit submerger par sa pesanteur. La charge des prélats est de tel poids, elle comprend un si grand nombre d’âmes, et elle les engage en une si haute mer d’occupations et de divers besoins, qu’il n’y a pas lieu de croire qu’ils voulussent refuser le secours que Dieu leur offre, par l’institution de tant de célèbres familles de réguliers. Ils ne doivent aussi se mettre d’eux-mêmes en besogne. Ils s’offrent et se tiennent prêts pour suivre leurs mandements sous la conduite du principal pilote, qui nous députe à les servir avec déférence et subordination en leur fonction apostolique, retirer les âmes des flots de la vie mondaine et les mener au ciel comme en un rivage assuré.

La hiérarchie embrasse tous ceux qui, avec l’approbation publique de l’Église, se consacrent au service de Dieu, et ont mission générale ou spéciale par le pouvoir et la destination des légitimes pasteurs pour s’employer à étendre le règne de Jésus Christ et appliquer le fruit de la rédemption. Les évêques excellent en ce ministère établi immédiatement de Dieu. Et cette vocation primitive les rend semblables aux séraphins qui, pour être les plus proches du trône de Dieu, reconnaissent plus parfaitement la prééminence de celui qui tient le premier lieu entre eux, et se réjouissent avec plus de charité du service que les anges du dernier ordre rendent à leur commun seigneur.

Saint Denis, que les évêques et les religieux de la France ne peuvent avoir suspect en cette cause, comme étant leur père commun, comprend le hiérarchie céleste et ecclésiastique, ceux qui exercent les trois fonctions qui proprement lui appartiennent, comme est de purger par l’intégrité des mœurs, d’illuminer par la science et de conduire à la perfection de toutes les deux. La première de ces actions convient à la dernière hiérarchie dans le ciel, et aux diacres en l’Église, l’autre à la seconde hiérarchie des anges, et aux prêtres et la troisième à la suprême hiérarchie de ces heureux esprits, qu’il compare aux évêques.

Les deux premières de ces fonctions se trouvent en nous par la consécration de la prêtrise, que nous avons reçue de MM. les prélats, à laquelle celle des vœux sert d’ornement. Et notre cloître n’est pas une mauvaise école pour apprendre à édifier le prochain par la pureté de la vie et de la doctrine. En quoi il faut remarquer la différence de l’ancien institut des moines avec celui des réguliers qui leurs ont succédé en la rigueur de la discipline et en la renonciation des biens du monde, y ajoutant le soin de n’établir pas seulement le royaume de Dieu en leur cœur, mais aussi de l’étendre au loin, par la vertu du double esprit d’Élie, dont l’office et le zèle transmis en ses disciples, et que saint Jean-Baptiste renouvela dans le désert, nous représentent un modèle parfait de ceux qui se dédient à faire et à prêcher les œuvres de la pénitences, qui ne se mettent point dans le rang de ceux qui soutiennent les charges et les dignités de l’Église, et demeurent près d’eux, comme sur les ailes de cette sainte armée, pour être plus prompts au besoin. 

Les moines du temps de saint Denis, à ce qu’il en dit clairement, n’étaient pas prêtres. Il les met après eux au plus haut rang des autres chrétiens. Il dit qu’en la cérémonie de leur tonsure, ils se tenaient debout, pour montrer que leur devoir était de s’affermir en leur propre vertu, sans se dévouer au service public comme les prêtres et les évêques qui faisaient à genoux leur profession et portaient sur la tête le livre de l’Évangile, ce qui n’était permis aux autres.

Or, en ces derniers temps que l’ignorance et l’iniquité abondent, et que le nombre des prudents et fidèles serviteurs diminue, tous les gens de bien reconnaissent que ce n’est pas sans un effet spécial de la providence de Dieu qu’en toutes les parties du monde, la sainte foi  soit annoncée par l’exemple, et la doctrine de plusieurs congrégations régulières, qui ont dressé toutes leurs intentions et tous leurs exercices à l’avancement du règne de Jésus Christ et à la conversion des âmes, saint Thomas estime ce genre de vie de tel mérite que, selon son avis, il approche de l’état des évêques. Ce que leur piété trouvera bon en la bouche de ce saint docteur, et que la modestie nous défend de nous attribuer, comme étant bien éloignés de la perfection requise, pour arriver à cette excellente fin que cet homme angélique nous propose.

Et quant à la mission et au pouvoir d’exercer ce ministère, nous dépendons de l’ordre épiscopal, qui tient le premier rang au sacerdoce et qui a seul l’autorité d’en distribuer les charges, que si nous sommes envoyés par celui qui est le premier en cet ordre, ce n’est pas pour nous exempter du respect que nous devons au corps de messieurs les prélats. Si le père de famille nous ordonne de travailler en la vigne, dont il a le soin général, sans exclure celui de chacun d’eux en leur diocèse, nous n’y tenons pas lieu de maîtres, mais de gens de labeur. Nous n’y allons pas pour apporter du trouble en la vigne du pacifique Salomon, en cette vigne, que la pratique dit être fertile en la multitude des peuples, mais plutôt nous devons leur apprendre l’obéissance qu’ils doivent à leurs supérieurs qui ont la peine de veiller pour le salut de leurs âmes et d’en rendre compte. C’est pourquoi l’écriture fait monter leur récompense jusqu’au nombre de mille et assigne celui de deux cents pour ceux qui gardent la vendange.

Les prélats ont l’honneur, le profit spirituel et la juridiction sur leurs peuples et ils ne nous dénient pas une petite partie de leur très grand mérite, si nous sommes si heureux que de servir sous leurs commandements, à conserver la piété et à donner la chasse aux semeurs de fausses doctrines et aux dépravateurs des bonnes mœurs, que l’écriture exprime par la comparaison des sangliers et des renards qui déracinent les ceps et broutent les grappes nouvelles. Enfin les religieux n’estiment pas qu’ils ne puissent tenir aucune place au banquet mystique et au service de l’autel pour nous avoir choisis la dernière. Comme, d’autre côté, il n’y aurait pas d’apparence qu’étant assis au plus bas lieu, il leur vint en pensée de s’égaler aux prélats en la juridiction ou en la perfection de leur état, ce qu’ils ne pourraient faire sans s’oublier de leur naissance et ressembler à celui qui selon la comparaison de saint Jacques, après avoir vu son visage dans un miroir, en a perdu soudain le souvenir. 

Ce miroir est la vie de nos premiers instituteurs, où nous devons apprendre ce qui convient à notre profession, dont ils nous ont donné la forme, sur le modèle de l’humilité des apôtres en qualité d’hommes plutôt conversant dans le ciel que sur la terre ou au moins selon le dire de saint Paul, pour y paraître comme simples enfants de Dieu, comme des flambeaux éclairants au milieu des nations perverses. Et s’étant dépouillés de tous les ornements d’honneur, desquels Dieu a voulu parer l’Église, pour lui assujettir les Rois et les peuples, par les marques des choses qu’ils estiment le plus, comme sont le gouvernement et la puissance ils ont pris pour leur cher partage de porter sur leur corps la mortification de Jésus Christ et de faire, si leur est possible, que sa vie divine reluise dans leur chair mortelle, sur quoi, il faut reconnaître la différence entre la perfection de l’État et de la personne. La première n’admet point de compétiteurs de prééminence avec ceux que nous avons dit ci-dessus être les médiateurs entre Dieu et les hommes. Les anges ne les égalent pas en la participation de leur sacerdoce établi pour le service public, et la conduite de l’Église même, ils doivent faire honorer leur ministère, selon les termes de l’apôtre. Ce qu’ils font avec plus de grâce, qu’ils suivent le conseil de saint Pierre de n’affecter une domination sévère sur les autres parties du clergé, qui ne peuvent aussi mépriser leur autorité, sans courir le hasard de la malédiction, qui fit périr <…> avec ses complices. Quant à la perfection personnelle, ceux qui se l’attribuent le moins en ont le plus, et cette question est vidée par la sentence du Sauveur « celui qui s’humilie sera exalté ». L’on peut remarquer clairement cette différence dans les actions du sauveur et de ses apôtres. Le fils de Dieu, comme le vrai grand prêtre, prend autorité dans le temple, il chasse les commerces profanes, et quand on lui demande son devoir, il renvoie à celui que son père lui a donné, comme étant assis à sa dextre. Mais en ce qui le touche, il se soumet aux moindres créatures, comme un agneau sans résistance. Saint Paul fait de fortes remontrances au premier des apôtres en l’exercice de sa charge. Ailleurs, il se dit avorton, n’être pas digne d’être appelé Apôtre et qu’il n’est rien.

Le fils de Dieu et les apôtres, pour tenir une manière commande à la conservation des hommes qu’ils doivent régir, reçoivent de l’argent, ne dédaignent pas la table des Pharisiens et le service que leurs rendent les saintes femmes qui ont soin de leur nourriture. En d’autres temps, ils se laissent presque mourir de faim, ils se réduisent à tirer des épis de blé, ils suivent l’exemple de leur maître, qui naît dessus la paille, et meurt tout nu sur une croix.

En cette diversité il semble que ces religieux retiennent la manière de vie des septante-deux disciples qu’ils représentent à peu près, quoique chacun, selon son institut en forme différente telle quelle est décrite en l’évangile. Le sauveur les envoie deux à deux par les villes et les bourgades, où il voulait aller avec les apôtres. Il les enflamme du zèle d’étendre sa gloire, et, pour les y animer, il leur montre que la moisson est grande et qu’il y a peu d’ouvriers. Il leur défend de se charger de hardes, de porter deux tuniques. Il veut qu’ils rejettent l’argent, qu’ils aient des sandales. Il retranche les compliments et les civilités du monde pour les en séparer entièrement. Il jugea bien que sa parole sortant d’un cœur sincère ferait un grand effort dans les esprits des hommes, présentant à leurs yeux la vertu toute nue, et qui dans l’Église naissante pouvait faire ressouvenir de l’enfance du monde et de l’heureuse simplicité d’Adam et servait de modèle de la résurrection, quand les corps n’auront point de plus beaux vêtements que l’innocence incorruptible.

Saint Paul s’est rendu fort recommandable par ces œuvres de surérogation, châtiant son corps, et ne se lassant jamais de travaux, de jeûnes, de veilles, de froidures, de nudité et de toutes les rigueurs que même les religieux plus austères ont plutôt su admirer qu’imiter. Et pour renouveler dans l’Église les mœurs louables des Nazaréens, qui étaient les réguliers de l’ancienne loi, ce grand apôtre voulu faire le vœu de cet institut et en observer les cérémonies. Ce qu’il estime être de telle considération, que défendant sa cause devant le juge félix, il allègue cette action pour un évident témoignage de sa probité et de la sincérité de sa conscience, estimant que cette profession publique de piété et cette consécration spéciale au service de Dieu est si digne d’honneur qu’elle réfute d’elle-même les calomnies et les fausses accusations, que si saint Paul a cru que la dignité du vœu fût capable d’acquérir tant de créance dans l’opinion d’un païen et d’un ministre des Empereurs romains qui ont persécuté l’Église, qui ne pourrait se promettre beaucoup plus de faveur des chrétiens, selon le degré de leur dignité et de leur vertu., ce que, Monseigneur, nous éprouvons en vous par des effets d’une bonté si obligeante, que, laissant entre vos mains, comme un sacré dépôt, l’honneur du saint état que nous professons, nous réputerons pour une singulière bénédiction tout le blâme que l’on nous voudrait imputer. Et pour n’abuser de la grâce que vous nous faites, témoignant de n’agréer que l’on trouble notre repos, nous l’emploierons pour rechercher les moyens de nous acheminer à la perfection que Dieu demande de nous, pour lui recommander avec plus d’efficace le bien de l’Église, la prospérité de Sa Majesté et votre conservation si utile à l’une et à l’autre.

En cette occasion, comme en toutes les autres qui regardent le bien public, vous avez dignement secondé et effectué les saintes intentions du Roi, qui ne permet qu’aucun prince l’ait jamais devancé, à honorer la dignité des prélats, et à protéger la faiblesse des religieux. Aussi ont-ils eu ce bonheur que les plus célèbres monarques de la Chrétienté et qui en ont respecté les pasteurs avec une piété plus exemplaire ont pris plaisir de faire paraître la révérence qu’ils ont porté à Dieu en la personne des pauvres serviteurs de son fils, qui, par leur profession extérieure, s’obligent à ne chercher leur gloire qu’en sa croix, ainsi saint Louis, qui ne voulut commencer la guerre contre les infidèles, qu’il n’eût reçu la bénédiction de l’évêque de Paris, de la main duquel il prit l’enseigne sous laquelle son armée devait combattre, a laissé par toute la France de perpétuels monuments de sa faveur vers les religieux qu’il ne leur témoigna pas tant par le grand nombre d’édifices qu’il leur a fait bâtir que par son zèle et sa constance à les défendre contre les calomnies et les violences de quelques-uns, qui ne pouvaient souffrir l’affection qu’il leur portait, les tenant souvent près de lui et se servant de leurs conseils au dessein qu’il avait de plaire à Dieu parfaitement en l’exercice de sa charge.

Ainsi le grand Théodose, l’ornement et l’appui de l’ancienne Église, qui accomplit avec tant de soumission la pénitence que lui ordonna saint Ambroise qu’il réputait par son oracle, ne dédaigna pas les avis d’un simple religieux d’Égypte et n’entreprenait rien sans lui en ses affaires importantes, jusqu’à le consulter dans son désert s’il donnerait cette insigne bataille sur les Alpes contre le tyran Eugène, attribuant la victoire miraculeuse qu’il en remporta à la faveur de Dieu obtenue par ce saint homme.

Et remontant plus haut, Constantin qui fit le premier reluire la splendeur et la majesté du sacerdoce, qui honorait tant les évêques qu’il semblait adorer Jésus Christ en eux et ne voulait presque qu’on les tint capables de fautes, aima chèrement saint Antoine et ses moines, connaissant bien que Dieu s’en servirait pour s’opposer aux ariens, et faire valoir dans les peuples par leurs bonnes mœurs la doctrine du concile de Nicée, ainsi qu’après il arriva.

Quant à vous, Monseigneur, de qui toute la France espère, qu’après avoir détruit la rébellion des hérétiques, vous en convertirez les cœurs et couronnerez le bonheur de la paix publique par celle de l’Église. Vous ne méprisés pas entre tant d’autres moyens que vous préparez pour ce grand ouvrage de tendre la main aux religieux qui osent se promettre de suivre sous votre protection les vestiges de leurs ancêtres. L’estime que nous avons conçue de votre vertu, et la bénédiction que Dieu donne à votre conduite, ne nous fait pas moins attendre que de voir en Messieurs nos prélats de parfaits imitateurs de saint Grégoire, de saint Martin, de saint Basile et de saint Augustin, sous la faveur desquels nous tâcherons de ne point dégénérer de la piété des ordres, que ces insignes pasteurs et restaurateurs de l’Église employèrent à défricher des provinces entières, dont après ils recueillirent une moisson abondante, en qui nous ne pouvons être animés par un ressentiment plus juste que celui de notre obligation en votre endroit, par le soin qu’il vous a plu prendre de faire trouver bon à M. l’évêque de Belley [Jean-Pierre Camus de Saint-Bonnet] d’arrêter le cours de quelques écrits qui eussent pu nous rendre moins utiles à l’édification du prochain, altérant la bonne odeur de l’institut religieux, duquel Dieu s’est servi depuis une si longue suite d’années pour attirer les peuples à l’amour de la piété. Étant certain que les affections du monde et la crainte du travail les en détournent aisément, s’ils ne voient marcher les guides devant eux, qui après avoir reconnu cette terre de promission, en fassent voir des fruits, pour assurer par les saintes consolations qu’ils trouvent aux exercices de la vertu, combien les contentements qu’elle apporte en doivent adoucir la peine.

Assurément, M. de Belley n’eût pas voulu que la postérité eût fait ce jugement de lui, que selon qu’Isaac disait de Jacob, sa main eût fait douter de sa parole et qu’après avoir rempli l’air des louanges de la vie dévocieuse [sic] par ses ordinaires prédications il eût eu le dessein de noircir par les traits de sa plume ceux qui en font une profession publique.

La bonne disposition, Monseigneur, que vous avez reconnue en son esprit d’expliquer ses intentions en un autre manière qu’elles ne paraissaient montre bien qu’il a plutôt agi par rencontre que par élection. Il avoue ingénument qu’il a cru imiter l’abeille qui défend son miel avec l’aiguillon. Mais il ne lui est pas arrivé ce que l’on dit d’elle, que, le laissant dans la plaie, elle meurt. Il l’en retire, et fait entendre que s’il a fait sentir quelque piqure à quelques-uns qui l’ont offensé, ç’a été seulement pour décharger son cœur où il a conservé le miel de la charité envers nous et le papier a reçu toute l’amertume. 

Nous l’estimons trop affectionné à la religion catholique pour n’appréhender pas que ceux qui en sont ennemis pussent retirer avantage des pièces sorties de ses mains, qu’ils voulaient relever comme des armes qu’on laisse tomber dans la chaleur d’une émotion populaire, lesquelles maintenant il leur ôte ou les rend inutiles, en ce qu’il lui plaît de dire que ce sont plutôt des effets du sentiment blessé que d’une volonté délibérée.

En la lettre qu’il vous adresse, Monseigneur, il laisse un perpétuel témoignage de la véritable créance qu’il a de l’état que nous professons, duquel il parle avec tant d’éloge, que nous avons sujet de croire, qu’encore que nous n’approchions pas de la perfection qu’il attribue à cet heureux genre de vie, il nous aimera néanmoins pour le désir que nous avons d’y parvenir. La merveilleuse estime en laquelle il témoigne avoir cette sainte maison de Dieu, où nous avons engagé notre liberté jusqu’à la fin de nos jours, le portera à imiter la reine de Saba, qui dans l’excès de son admiration du bon ordre qu’elle voyait dans le palais d’un prince, qui n’était que l’image de celui auquel nous servons, faisait cas de ses gens jusqu’aux moindres officiers.

Si en l’armée du sauveur, duquel Josué fut la figure, nous n’avons pas les commandements et les charges, au moins nous y tenons le lieu de ceux qu’il envoya pour reconnaître Jéricho, qui représente la vanité de la vie mondaine, dont nous devons rechercher et annoncer la ruine. Et quand nous approchons des hommes, il faut que ce soit pour les avertir de se rendre au fils de Dieu de se mettre sous son obéissance et prendre les livrées de sa mort sanglante, désignées par ces marques de couleur cramoisie que Rachel mit à sa fenêtre pour un signal et un gage de son salut. Que si saint Paul loue si hautement la foi de cette femme, de qui les mœurs n’étaient pas sans reproche pour avoir retiré chez soi ces pauvres gens demi-morts, et leur avoir donné un peu de paille. Qui voudrait détourner les bonnes intentions des personnes de piété qui reçoivent bénignement les précurseurs et les héraults du royaume des cieux, qui font profession d’une vie laborieuse et qui ont pris les fatigues pour leurs délices ?

Nous voulons bien être reçus en la maison de Dieu à la condition des sybarites, de fournir le temple et le peuple d’eau et de bois. Étant aussi raisonnable de considérer cette différence évidente, que ceux-ci y furent contraints pour la punition de leur tromperie d’avoir voulu passer sous des habits d’une pauvreté déguisée pour autres qu’ils étaient, afin de conserver leurs biens, ou au contraire la plus part des religieux, forçant les prières et les souhaits de leurs parents, ont volontairement abandonné toutes les prétentions du monde, en ont quitté les plaisirs et les honneurs, et n’y demeurent plus que pour y faire pénitence, ce qu’ils font pour s’acquitter de la tâche qu’ils ont prise de n’y laisser pas manquer l’eau des larmes, essayant d’apaiser l’ire de Dieu par l’expiation de leurs fautes, et de leur prochain. Et comme le véritable Isaac allant au sacrifice porta la croix, ils doivent se charger de ce bois sacré qui allume le feu de cette charité parfaite, laquelle fait que l’on ne donne pas seulement tous ses biens, mais que l’on emploie sa vie et que l’on se consomme par l’ardeur de servir au salut des âmes.

Il est vrai que ceux qui ne répondent pas à ceste attente publique que l’on a d’eux et qui, au lieu de rendre franchement ce service, se cachent pour couvrir leur paresse à l’abri d’un cloître ou n’en sortent que pour chercher de quoi l’entretenir plus à leur aise, abusent de l’honneur de l’état religieux et ne méritent pas d’y tenir le dernier rang des frères que l’on députe aux œuvres manuelles pour le soulagement des autres consacrés à l’autel. Mais, puisque Dieu qui est si jaloux de la perfection de ses ouvrages, connaissant que l’humilité est le meilleur moyen pour les conserver en leur être, laisse voir quelques manquements aux choses les plus excellentes, comme en la société des anges et dans les corps les plus accomplis, même en celui des plus beaux astres, où les taches qui y paraissent n’empêchent pas l’utilité et l’admiration de leur lumière, il ne faut pas trouver étrange, si l’on remarque quelques défectuosités dans ce grand nombre de communautés régulières, comme aussi il n’y aurait pas de raison que pourvoir de la nonchalance en quelques-uns l’on voulut attacher tous les autres aux œuvres serviles, les priver de la fin de leur institut et mettre sous le vaisseau de l’exercice corporel le soin et le zèle des âmes, que le sauveur compare en la personne de saint Jean-Baptiste à un flambeau ardant et lumineux. Les réguliers se doivent contenter du partage que ceux de la tribu de Ruben avec quelques-autres demandèrent en la distribution de la conquête du peuple d’Israël, lesquels étant portés à la vie champêtre par leur long séjour au désert, auparavant que d’entrer en la Palestine et passer le Jourdain, firent instance à Moïse de leur accorder le pays de Galaad, plein de bocages et de grandes prairies. Mais pour montrer qu’ils ne le voulaient pas pour se décharger du travail, ils firent une promesse solennelle, devant toute multitude, qu’ils marcheraient armés à la tête des troupes pour faire ce qu’il leur serait commandé. D’où il arrivait aussi un autre bien pout le public, que ceux-ci s’étant retirés après la paix sur ces lieux de frontière, où les ennemis des Hébreux pouvaient plus aisément les attaquer, ils en gardaient les passages, et dans le repos de leurs frères ils veillaient pour leur sureté.

Si nous avons choisi une heureuse retraite pour habiter en Galaad, qui fort à propos signifie abjection et mépris, si nous nous sommes exclus de l’entrée de la terre fertile, coulante de lait et de miel, si nous ne prétendons point de part aux honneurs du temple, demeurant à l’écart dans nos solitudes pour accourir à son service aux moindres mandements de ceux qui y président, nous ne jugeons pas pour cela que Messieurs les prélats nous veuillent rejeter et qu’ils estiment que nous nous sommes enfermés dans nos cloîtres pour y nourrir nos sens comme en un pâturage, ils nous font bien l’honneur de croire que nous y portons le dessein de nous y exercer en l’étude de la vertu et d’y acquérir le courage, l’adresse et les armes nécessaires à ceux qui se sont obligés de se présenter des premiers en cette sainte milice, non pas en qualité de chefs mais d’aventuriers et de gens qui font profession de s’accoutumer tellement au travail durant la tranquillité de l’Église qu’ils n’en doivent refuser aucun au temps de ses plus grands combats.

[Ne] serait-ce pas offenser trop grièvement la piété de nos seigneurs les prélats de penser qu’ils voulussent ôter le pain à des hommes qui se sont exposés à mourir de faim et qui, se dépouillant de tous leurs biens, ont confié le soutien de leur vie à la direction d’autrui pour les pouvoir servir avec moins d’empêchement en la moisson des âmes ? Et ne serait-ce pas une double rigueur de les priver de ce saint exercice, qui est la vraie nourriture de ceux qui ont appris du fils de Dieu qu’il n’a point eu de plus doux aliment que d’accomplir la volonté de son père, s’employant en la conversion des pécheurs ?

Tandis que les religieux n’épargnent aucun travail pour faire profiter la semence de salut en bénédiction abondante, serait-il raisonnable qu’ils portassent la peine de la malédiction d’Adam de vivre à la sueur de leur visage, que si saint Paul, dans quelque rencontre, a pu gagner sa vie au prix de son labeur, sans se distraire de ses occupations spirituelles et du soin de l’Église, saint Chrysostome qui a connu parfaitement l’esprit et les écrits de cet homme divin nous apprend que cette action se doit mettre entre ses miracles et nom au nombre de ses lois ? Comme aussi si cet exemple obligeait les Chrétiens à l’imiter, en premier lieu, il regarderait les évêques de la condition desquels était saint Paul.

Quand saint Bonaventure traite de cette matière du travail corporel, il dit que saint François, qui le recommande en sa règle pour éviter l’oisiveté, n’a jamais fait ouvrage qui valût douze deniers, passant la plupart de sa vie à converser avec Dieu dans le repos de l’oraison, où il prenait des forces et des lumières nouvelles pour édifier le prochain. Au commencement qu’il n’avait qu’un petit nombre de disciples, plusieurs desquels n’étaient ni prêtres, ni prédicateurs, ne faisant que sortir du siècle, il fallait modérer l’excès de leur ferveur et attention d’esprit par quelque occupation extérieure, ce qui <…> les nécessités qu’ils souffraient pour n’être pas connus du monde.

Ce qu’on peut dire de tous les autres ordres en leur naissance, qu’il faut distinguer d’avec le temps de leur progrès, ils se sont employés sérieusement à prêcher par leurs actions et leurs paroles Jésus Christ crucifié, et à renouveler la mémoire de sa passion dans les villes et les provinces, qui ne voit que c’eut été détruire le dessein de Dieu en leur vocation céleste, si contre le conseil de l’Évangile, on les eut renvoyés à la charrue, qu’Élie fit quitter à Élisée pour embrasser la manière de vie et la fonction qui approche le plus de celle des religieux, qui voudrait improuver le soin que saint Paul a pris en sa personne et qu’il a recommandé aux autres avec tant d’instance de chercher et distribuer les aumônes, notamment pour les pauvres qui étaient contraires au service de Dieu en Jérusalem, vaquant aux exercices de piété, lesquels pour cela il appelle saints. Il ne les remet pas à l’apprentissage de quelque métier pour vivre, mais il répute à une grâce singulière de leur faire et de leur porter la quête, les laissant continuer leurs prières, leurs jeûnes et leurs mortifications. En ce même texte, il s’étend à représenter aux fidèles combien Dieu est glorifié par ces offices de mutuelle <…> qu’il dit être des marques et des effets véritables de l’obéissance que l’on rend à l’Évangile en ce que l’on génère ceux qui en font une profession <…> les assister des biens temporels pour la reconnaissance des <…> qu’on en reçoit. 

Il exagère combien cette communication réciproque <…> bénir Dieu, par les actions de grâces qu’on lui rend, comme à l’auteur de toutes ces faveurs, et avec quelle simplicité de cœur et affection sincère, ses serviteurs redoublent leurs prières pour <…> qui leurs donnent moyen d’y employer leurs jours avec plus de tranquillité. La gloire et le mérite de ce saint exercice n’est pas moindre de bailler ou de mander le pain aux portes que l’argent dans les maisons, de quoi saint Paul parlait alors. Mais plutôt cette très haute pauvreté, dont en ce même lieu il enchérit les louanges y paraît plus visiblement. Il vous enseigne aussi que cette pauvreté doit être exempte d’avarice. Cette vertu qui vient du ciel où elle a logé ses trésors et ses pensées se doit contenter des aumônes et des libéralités qu’il lui envoie que saint Paul appelle une bénédiction et que David compare à la rosée qui coule d’en haut sans contrainte, qu’il dit être le met agréable que Dieu met à part pour faire goûter aux pauvres volontaires, aux hôtes de la solitude, la douceur de sa providence.

Et quant à la vie retirée de la conversation, saint Augustin, qui l’égale à celle des anges, nous avertit de fuir son vice, qui est la paresse et la nonchalance, semblable à celle des bêtes qui ne sortent de leur tanière que pour manger. Ces deux manquements, d’aimer l’abondance et l’oisiveté, sont les thèmes dont nos supérieurs prennent souvent le sujet de leurs exhortations pour nous en garantir. En quoi ils savent garder les mesures, comme en fait un où leur charge les autorise et dont l’expérience les instruit.

Ce sont aussi les thèses générales, en l’amplification, lesquelles, après que M. de Belay [Belley] a exercé son éloquence, il montre selon l’avertissement de saint Paul, qu’entre plusieurs autres bonnes qualités dont il est doué, il veut que la charité tienne le premier rang. Il est jaloux des principales grâces. Il prend la voie la plus excellente, qui n’est pas de suivre son sens au gré du zèle ou du courroux, qui l’eussent pu porter au-delà de ses droites intentions. Sa piété, son jugement et la connaissance qu’il a de l’antiquité lui font voir le péril de toutes les opinions extrêmes. Il condamne tous ceux qui, devant lui, ont dressé contre nous des invectives au lieu de remontrances, sur un sujet presque pareil, et qu’un désir inconsidéré ou un malicieux prétexte de nous relever des faiblesses, qui même se peuvent trouver en une parfaite vertu, a fait tomber en des erreurs contre la doctrine et la paix, que si Tertullien eut su éviter ce malheur, le chagrin et la violence de son humeur, qui le portaient à faire une idole de la sévérité en la discipline, ne l’eussent poussé hors de l’Église, qui seule observe les proportions en la foi et aux mœurs. Ce n’est pas une chose nouvelle de voir des émotions dans les épris plus tempérés et plus recommandables en la sainteté et en la science. Qui ne sait les disputes entre saint Chrysostome et saint Épiphane pour la diversité de leurs avis sur les livres d’Origène ? Ce qui donna la liberté à plusieurs esprits faibles, qui ne savaient pas, comme ces deux sages prélats, se mettre en colère sans pécher, d’ouvrir la porte à des curiosités en contentions très dangereuses.

Les querelles domestiques en la maison des grands produisent des guerres et souvent les moindres partialités en l’Église, où Dieu établit son royaume, forment des schismes, qui ne sont pas moins difficiles à découvrir et à dissiper que les secrètes menées des cabinets, où l’on ne peut apporter un plus souverain remède que de les étouffer dès leur naissance, avec vigilance, industrie et vigueur.

Ces rares vertus, Monseigneur, se rencontrent en vous, avec tant d’avantage, que l’on aurait à désirer que, comme on dit que le phénix se renouvelle de siècle en siècle, le monde eut le bonheur de vous avoir, ou un autre semblable à vous, en tous les temps de l’état ecclésiastique. Plût à Dieu que vous eussiez été l’arbitre des débats entre les catholiques d’Orient sur les différentes factions en faveur de Paulinus et de Meletius, tous deux illustres ornements de leur âge, lesquelles, survenant par malheur, plutôt par animosité de quelques particuliers que pour une raison véritable, lors que l’arianisme vint à croître, soufflèrent tellement cette étincelle, qu’elle alluma un feu, que le sang d’un nombre infini de chrétiens ne peut éteindre.

Lors du temps de nos aïeux que les troubles de la religion s’élevèrent en Allemagne, en Hongrie, en Pologne, et en Angleterre, il y avait en tous ces quartiers-là des cardinaux célèbres, qui, pour avoir eu des défauts contraires à vos perfections, accroissent vos louanges par le blâme qu’ils ont mérité, d’avoir donné le loisir à l’hérésie de se former et de corrompre l’air, comme une peste fomentée sous des secrètes divisions, qui couvaient dans le clergé et dans les cloîtres.

Monseigneur, si le Ciel qui vous réservait pour le remède des malheurs qu’a causé l’hérésie vous eut donné à ce royaume, quand cette source empoisonnée vint à se découvrir, vous l’eussiez arrêté avec tant de prudence et de courage, que vous vous seriez privé vous-même de la gloire et du mérite que vous avez acquis, servant le Roi si dignement en ce grand et difficile ouvrage de détourner ce torrent en sa plus grande violence. Mais aussi vous eussiez prévenu le naufrage où ont péri les âmes, les vies et les biens de tant de millions de Français.

L’expérience que nous avons des fautes précédentes, qui ont presque rendu les maladies incurables, augmente infiniment l’admiration que mérite votre soin et votre bonheur à divertir les moindres occasions de désunion entre les enfants de l’Église et de n’en perdre aucune de celles qui peuvent servir à réprimer l’insolence de ses ennemis. En quoi vous n’apportez pas seulement une indicible utilité à notre siècle, mais aussi vous préservez la postérité de la contagion de ces maux qui croissent avec l’âge, et, travaillant pour l’éternité, vous laissez à ceux d’après nous des antidotes excellents et de rares instructions pour se maintenir en santé dans une longue suite, que s’il nous est permis de prendre part en la reconnaissance de tant d’obligations que vous ont l’Église et la France et si, pour notre consolation, nous osons augurer l’accroissement du bien futur par la revue de celui que le public a reçu et reçoit de vous tous les jours, nous pouvons dire, Monseigneur, pour une vérité si claire dans l’approbation générale qu’en la taisant il y aurait autant de sujet de nous accuser d’injustice ou d’ignorance, qu’en la publiant nous sommes exempt du blâme de flatterie ou de crédulité, que Dieu vous a fait naître sous le règne du plus juste et du plus heureux Roi qui soit au monde, afin d’accomplir par votre ministère, appuyé de son autorité, un signalé dessein de sa providence pour la restauration de cet État, duquel comme du cœur de la Chrétienté les autres reçoivent leurs mouvements.

Pour se confirmer en cette créance, il ne faut qu’ouvrir les yeux sur le temps présent, et le comparer au passé, où tout homme de jugement et affectionné au bien public ne pouvait avoir sans une douleur extrême que cette monarchie succombait, comme un grand corps abattu de vieillesse et de nonchalance, tirant après soi la ruine de la religion et de la justice qu’auparavant elle avait soutenu si puissamment chez elle au loin alentour. Ainsi Dieu montre à l’œil la grâce qu’il fait aux royaumes où il veut rétablir sa gloire sous la comparaison de sépulcres ouverts et de corps morts qu’il revêt de peau et de nerfs et après leur avoir redonné la vie, il les met sur pied comme une puissante armée, et par la nouveauté de ce miracle, il accroît le courage de ces hommes ressuscités, et l’effroi de leurs ennemis.

Depuis que vous êtes appelé au maniement des affaires, l’on peut dire que la France est sortie d’un tombeau où la rébellion des hérétiques et l’ambition de ses voisins l’avaient réduite. C’est une sensible marque de cette merveille de voir que partout où Sa Majesté porte ses armes, pour conserver son État et celui de ses alliés contre tous ces divers assauts, il y agit avec tant de force et de bonheur que rien ne lui résiste. Et la facilité de ces succès fait que son plus grand honneur consiste en la modération qu’il y apporte et à la fin qu’il a de s’en servir pour avancer le royaume de Dieu et sa justice.

Or, laissant aux autres à dire tant de généreuses actions que vous avez contribué à cette félicité, nous ne pouvons omettre en ce lieu la reconnaissance que mérite la droite intention et la prudence qui guident vos desseins et les rendent heureux. C’est ce zèle de la justice, en laquelle appartient ce que l’on doit à Dieu en la religion et au prochain par la protection du bon droit, qui a conduit vos entreprises avec tant de sujet d’admiration qu’il semble que les évènements ont souvent surmonté vos pensées. Ce qui donne à connaître qu’après que vous avez prévu tout ce que l’entendement humain peut concevoir, vous avez pris votre dernier conseil avec Dieu, qui vous a fait espérer et obtenir des choses si importantes à son service.

C’est ainsi qu’Élisée consolait le roi Jéhu dans les plaintes qu’il lui faisait des travaux de sa charge et l’assurait de la prospérité des affaires et qu’il triompherait de tous ses ennemis, s’il tirait ses flèches du côté d’Orient, lui désignant par ce symbole la netteté d’une sincère conscience et le rayon de cette vérité première que Dieu a gravé dans nos cœurs. Il disait à son prince que ces flèches portaient avec elles le salut et l’assistance du seigneur et mettait ses mains sur les siennes pour lui aider à tenir l’arc plus ferme et lui montrer qu’il avait telle confiance au secours de Dieu qu’il se rendait comme garant de la victoire.

Toute l’Europe attribue d’un commun consentement les continuelles bénédictions que Dieu verse sur le Roi et la droiture de ses intentions, à sa piété exemplaire, à la pureté de ses mœurs et à ce grand et perpétuel soin qu’il prend de joindre sa présence, son courage et sa main aux sages résolutions qu’il prend. Tous avouent qu’il n’a point de pareil à mériter justement ces louanges. Et cette même voix publique ajoute, Monseigneur, que c’est le comble de sa gloire et de son bonheur d’avoir trouvé en vous une telle conformité à ces prudents et généreux conseils et tant de vigueur et d’adresse pour l’exécution de ses volontés, que cette grâce de rencontrer en même temps un tel prince et un tel ministre est un évident témoignage qu’ils sont tous deux donnés d’en haut pour une fin pareille de rétablir la religion et la monarchie, en quoi la main de Dieu paraît d’autant plus clairement que, contre la coutume et l’opinion vulgaire, les intérêts d’État sont joints et servent à ceux de l’Église.

Ainsi la joie que la France reçut de voir renverser cette dangereuse conjuration des hérétiques du dedans avec ceux du dehors, qui la menaçait de dissipation et de ruine, s’élève jusqu’au ciel pour y porter ses vœux et ses acclamations, quand à peine elle peut croire à ses yeux que cette formidable Rochelle montre la première l’exemple que tout cède à un prince qui sert à Dieu et que vous servez.

Ainsi le voyage d’Italie, qui présente à l’abord deux chefs d’œuvre de justice si excellents que l’on ne sait auquel des deux donner le prix, ou de protéger puissamment ses alliés, ou de s’abstenir d’une grande conquête, fit voir que vous ne mettez point en balance l’intérêt de la religion avec aucun autre avantage, ayant tourné tous vos desseins au recouvrement de nos provinces et de trente villes rebelles, où par votre bonne conduite, l’exercice de la foi catholique et le service de Sa Majesté rentreront ensemble.

Or, après que vous avez jeté ces fondements de la paix de l’Église et la patrie, il ne faut pas trouver étrange si le malin esprit a excité les mouvements qui agitent la Chrétienté pour retarder la félicité que vous lui avez préparée par ces heureux augures et commencements. Mais il y a grand sujet d’étonnement de voir ce royaume tranquille et comme dans le port, tandis que le Roi emploie ses principaux soins pour faire cesser la tempête qui pend dessus le chef de ses voisins et qui pourrait s’étendre jusqu’à nous, si votre vigilance ne l’en détournait de bonne heure.

Et pour reprendre en peu de mots les choses dès leur source qui a pu voir sans une douleur extrême qu’au même temps que le Roi, assisté de vos bons conseils, après avoir abattu le colosse de l’hérésie, lui ôtant La Rochelle qui lui servait de base, n’avait autre pensée que d’employer le bonheur de ses armes pour rétablir l’honneur de l’Église, l’obéissance des lois, et le soulagement du peuple, il ait reçu de ses voisins le même mal que Zorobabel éprouva, lorsque, voulant redresser le temple et les murs de Jérusalem, avec l’aide d’Esdras et des prêtres animés du vrai zèle de la religion et de la patrie, les nations d’alentour firent tous leurs efforts pour rompre ce dessein, que Dieu qui en était l’auteur conduisit à une fin heureuse.

Nous avons sujet d’espérer de sa clémence que de même il accomplira les saintes intentions du Roi et fera que ces obstacles augmenteront sa gloire, à laquelle vous avez d’autant plus de part que vous la lui rendez toute entière, et déjà nous voyons que ce n’est pas dans une assistance d’en haut qu’il a rejoint à son amitié et aux intérêts de cette couronne, les princes, ses plus proches voisins, se rendent maîtres de leurs cœurs, à la façon que la providence divine s’assure de la volonté des hommes, et captive leur liberté par le double lien de l’amour et de la puissance. Et quant à quelqu’autres qui ne témoignent pas encore une véritable union au désir qu’a Sa Majesté d’établir un ferme repos dans la chrétienté, nous voyons avec regret qu’il semble que Dieu leur envoie le châtiment, dont autrefois il a puni quelques peuples, qui faisant profession d’honorer sa loi, sans observer la modération et la justice, qui ne sont pas les moindres marques de la vraie religion, le provoquèrent à les abandonner à la fureur d’un nombre extraordinaire de lions, qui ravagèrent leur pays, pour réprimer leur violence par icelle de ces bêtes féroces.

Mais, permettez-nous, Monseigneur, qu’en déplorant cette infortune, que l’intérêt de l’Église nous fait ressentir vivement, même en la personne de ceux dont le malheur semble contribuer à la prospérité de cet État, nous vous disions le soulagement que nous y recevons avec tous les gens de bien en ce qu’après tant de merveilles arrivées sous votre ministère pour l’exaltation de la foi, nous ne mettons point en doute que votre plus forte passion ne soit d’apporter tout ce qui vous sera possible à ce que nous puissions voir pour le comble de ces miracles, qu’au lieu que l’ambition et la désunion des catholiques excitent Dieu à les châtier par ses ennemis, leur piété et leur concorde viennent à l’émouvoir de toucher fortement les cœurs de ceux, par la main desquels il les frappe. Job, qui a été l’un des princes le mieux instruit des diverses conduites que Dieu tient pour le gouvernement du monde dit qu’il nous fait paraître son inestimable sagesse, en la beauté d’un ciel tranquille où l’ordre et la clarté reluisent. Ce qu’il ne fait pas moins, lorsqu’ayant tiré le tonnerre du confus mélange des nués, et l’étendant par de grands tours comme un serpent qui se replie, il fait tomber la foudre où il ordonne. Ainsi, pour montrer sa grandeur, il lui plait quelquefois mettre son trône au milieu de l’orage et, dans de longues suites et révolutions de guerres, il exerce sa justice par les armes de ceux, qui en troublant le repos des fidèles, exécutant le dessein qu’il a de châtier et corriger leurs fautes. Mais il est vrai que la réjouissance de voir l’Église en sa splendeur, comme un jour sans nuages, aide bien plus les cœurs à recevoir comme des fleurs ouvertes au soleil les influences de la grâce.

Il est aisé de voir que vos travaux tendent à cette fin. Ce soin continuel qui presque vous rend aussi présent en tous les lieux où les affaires de l’État vous appellent, qu’elles sont présentes à votre esprit, ayant pour son but notre repos. Ce grand monarque que vous accompagnez, ainsi que le rayon suit ce corps lumineux qui esclaire le monde, nous représente un modèle parfait de l’office et de la louange, qu’un autre grand et saint roi attribue à ce bel astre, de chasser les ténèbres et de porter la lumière partout. En quoi vient fort à propos de rencontrer en notre siècle qu’un excellent prince soit assisté d’un excellent prélat, ce que Dieu a fait voir en tous les âges être une marque et une prédiction de quelque signalé bonheur. Ainsi, Abraham fut béni par Melchior <…> le courage d’Abiathar soulagea les travaux de David dans tout le cours de ses affaires, mêlées de glorieux succès et de grandes difficultés. La prudence de Sadoc servit à établir Salomon en la paisible possession de sa royauté, et la fidélité de Joad délivra Joas d’une dangereuse faction.

Et maintenant que vous prenez des travaux incroyables en ces grandes actions, vous accroissez à l’infini notre obligation, par votre soin d’apaiser les rumeurs qui eussent peu scandaliser les âmes faibles dans le monde et troubler le repos de notre vie consacrée à l’honneur de Dieu qui s’est servi de vous pour accomplir la promesse qu’il a faite par David de protéger ceux qu’il a retirés en son tabernacle dans la contradiction des langues. Nous vous supplions très humblement d’agréer pour reconnaissance de cette grâce, ce témoignage que nous rendons de notre volonté sincère d’honorer et aimer M. l’évêque de Belley et de ne nous point offenser de l’aigreur de ses écrits, qu’en la lettre qu’il vous adresse il compare au vinaigre. Nous ressouvenant de celui que le fils de Dieu goûta en la croix, pour faire honte à la délicatesse de ceux qui pour quelques dégoûts et paroles piquantes perdent la charité avec la patience, vous nous donnez l’exemple de cette constance chrétienne, qui apprend de ne craindre pas que l’on dise mal de nous, mais de le faire, qui croit, avec saint Pierre, que rien ne peut nuire à celui qui se rend d’autant plus jaloux à produire de bonnes actions, qu’on lui en impute de mauvaises, et qui, selon le conseil de saint Paul, vient à bout du mal par le bien, et se sert des mauvais offices d’autrui, pour dresser des trophées de générosité en les méprisant par courage et les surmontant par bonté. Ce genre de victoire est le plus honorable ornement du triomphe, que vous avez mérité par tant de glorieux exploits, que Dieu permet souvent être suivis d’outrages et de médisances, comme les chariots de ces anciens Romains montant avec pompe au Capitole pour donner sujet aux hommes vertueux de triompher d’eux-mêmes et de n’être pas vaincus par le vice des grands esprits, qui est la vaine complaisance. Ce nous sera beaucoup d’honneur de marcher de loin après vous, et d’imiter selon notre condition votre fermeté à ne permettre point que le vent passager de la calomnie ébranle votre forte affection de servir à l’Église et de contribuer vos soins pour apaiser les troubles de la chrétienté où nous prenons un intérêt bien plus sensible qu’en ce qui nous pourrait concerner. Nous offrirons incessamment nos vœux à Dieu à ce qu’il lui plaise bénir ces louables desseins, vous suppliant enfin de nous pardonner, si le transport que nous cause l’admiration de vos mérites et le ressentiment de nos obligations a fait que cette lettre, sans y penser, surpasse de beaucoup sa mesure, laquelle nous voudrions vous pouvoir présenter pour un panégyrique digne de vos vertus et pour un hommage de notre obéissance qui fût égal au devoir et à la volonté que nous avons de vous la rendre continuellement en qualité de, Monseigneur, vos très humbles, très obéissants et très affectionnés serviteurs en notre seigneur,

<…> Paris, ce XXV^me avril 1632.

Frère Nicolas [Ridolfi], général des prêcheurs, 

Frère Eustache de Saint-Paul, assistant du Révérend Père général des feuillants [Charles Vialart, en religion Charles de Saint-Paul], 

Frère Augustin Carcat, prieur des augustins du grand couvent, 

Frère P. Guéret, correcteur des minimes de la place royale de Paris, 

Louis de La Salle, supérieur de la maison professe de la compagnie de Jésus à Paris, 

Étienne Binet, recteur du collège de Clermont de la compagnie de Jésus,

Frère Claude Le Petit, gardien des cordeliers de Paris,

Frère Mathieu Doles, premier lecteur et docteur en théologie aux cordeliers de Paris,

Frère Bonaventure de la Mère de Dieu, prieur des carmes déchaux de Paris,

Frère Michel Fouet, supérieur du couvent des augustins du faubourg Saint-Germain-des-Prés de Paris,

Frère Léon de Paris, gardien des capucins du couvent de Saint-Honoré à Paris,

Frère Archange de Paris, gardien des capucins de Saint-Jacques,

Frère Balthazar Langlois, prieur au couvent des Jacobins de la rue Saint-Jacques à Paris,

Frère Regnault de Vaulx, prieur du grand couvent des pères carmes de Paris, docteur en théologie.

1. Le lac de Tibériade dont le Christ parcourt les rives en prêchant la bonne nouvelle. [↩]

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