Zaga Christ (prince d’Éthiopie)

Prince éthiopien, Zaga Christ (v. 1610-1638), né à Dambaya (ou Dembea), serait le fils de Za Dengel, ou Arzo, lui-même neveu du négus Särsä Dengel, qui règne de 1563 à 1597. Le décès de ce dernier provoque une longue crise successorale.

Za Dengel profite de l’affaiblissement du jeune héritier en titre, son cousin germain, Yaqob, et s’empare du pouvoir en 1603-1604, mais trouve la mort à cette date, lors de la révolte armée d’une faction rivale. Le frère aîné de Zaga Christ, Côme, est à son tour assassiné vers 1611, sur ordre de Susneyos, qui a pris le titre de négus en 1607, impose le catholicisme sous l’influence des jésuites et règne jusqu’en 16321.

Zaga Christ se réfugie au Soudan vers 1628, où il se convertit peut-être à l’islam2. Il est en revanche certain qu’un mercenaire vénitien, Marco Lombardo, passé au service de Susneyos, se lance à sa poursuite. Contraint de quitter la cour soudanaise, où le sultan Rabat Ier caresse un temps le projet de le marier à l’une de ses filles, il gagne les régions les plus reculées du pays qui l’accueille, et livre l’un des premiers témoignages connus sur le peuple des Noubas.

Vers 1631, Zaga Christ, converti « à la foi de saint Marc – le christianisme deux fois millénaire de l’Éthiopie »3, séjourne en Haute-Égypte où il entre en contact avec des moines coptes. Le 20 février 1632, il est reçu, au Caire, par le pacha ottoman d’Égypte, de qui il sollicite un soutien militaire pour recouvrer le trône de son père et pour contrecarrer la présence des jésuites en Éthiopie. Il se rend ensuite chez les moines abyssins de Jérusalem, où il se convertit au catholicisme après avoir découvert les impostures de ses compatriotes dans la pratique du culte, puis en Palestine.

Convaincu de se rendre en Europe, il s’embarque pour la Grèce. Il est contraint de séjourner sur l’île de Zante, contrôlée par Venise. Il passe en Italie où il déclare son hostilité à l’Espagne, qu’il désigne comme en partie responsable de la mort de son père.

Zaga Christ séjourne plusieurs mois à Rome, où il tombe amoureux d’une sœur clarisse, Caterina Massimi, avec qui il échange durant quatre ans une correspondance écrite de leur sang4. Le 18 mai 1633, les récollets l’introduisent auprès du pape Urbain VIII5. Son érudition est remarquée par le cardinal-neveu, Francesco Barberini. Zaga Christ est alors détenteur d’ouvrages et de manuscrits rares, dont une partie importante lui est soustraite en 1634 sur ordre de l’archevêque de Canterbury, William Laude, après le signalement qui lui en est fait, notamment par l’ambassadeur du roi d’Angleterre auprès de la Sérénissime.

Le père carme Louis-Jacob de Saint-Charles (1608-1670)6 attire alors l’attention de l’ambassadeur de France à Rome, le comte François de Noailles, sur Zaga Christ. Le diplomate le convainc de gagner la France, en passant par la cour du duc Victor-Amédée Ier de Savoie, à Turin. C’est là, au début de l’année 1635, que son portrait est réalisé par l’artiste peintre miniaturiste officielle de la duchesse de Savoie (Christine de France, sœur de Louis XIII), une femme, fait exceptionnel, Giovanna Garzoni7

Zaga Christ arrive à Paris au début de l’été 1635 et se présente à la Cour, tentant d’obtenir les bonnes grâces de la Reine et de Richelieu, qui le reçoit à Rueil. Le 5 décembre, il adresse un courrier en italien au cardinal-ministre, témoignant de ses tentatives pour être admis au Louvre8.

Or l’irruption du prince d’Éthiopie, que Louis XIII, quant à lui, refuse de recevoir, est précédée par la parution à Rouen, chez Jean Boulley, et à Paris, chez Louis Sevestre, d’un « ouvrage de propagande »9, dont l’auteur est le dominicain normand Jean de Giffre de Rechac (1604-1660), en religion Jean de Sainte-Marie, intitulé Étranges événements du voyage de Son Altesse, le sérénissime prince Zaga-Christ d’Éthiopie, du grand empire des Abyssins, issu de la lignée de David et de Salomon, fils de l’empereur Jacob, appelé communément le Prêtre-Jan. Avec la défaite de l’empereur Jacob et la fuite de ses deux enfants, Cosme et Zaga-Christ, écrits par le sieur de Rechac le Jeune. La dédicace est offerte à Anne d’Autriche.

Un courrier adressé par Guillaume Bautru au cardinal de La Valette évoque la liaison amoureuse que le prince d’Éthiopie noue avec Antoinette Allemant, épouse d’un ancien conseiller au parlement de Paris, François Saunier – ou Saulnier –10, vraisemblable prétexte justifiant une incarcération voulue par Richelieu, qui le soupçonne d’imposture et d’espionnage11. La liaison a été dénoncée par Michel Le Masle, prieur des Roches, ami de François Saulnier et secrétaire de Richelieu12. Selon Serge Aroles suspecté à tort, Zaga Christ est emprisonné au Châtelet de Paris, en octobre 1637, et son procès instruit par Issac de Laffemas13.

Il est libéré au début de l’année 1638, sur ordre du cardinal-ministre, après deux courriers en provenance de Rome adressés au père Joseph réclamant la libération de la « mission d’Éthiopie »14. Victime possible d’une pleurésie contractée pendant sa détention, d’un empoisonnement, à moins qu’il ne se soit suicidé (sa correspondance avec Catarina Massimi ayant été découverte), Zaga Christ décède à Rueil, chez Richelieu, le 22 avril 1638, laissant une collection d’une quarantaine de manuscrits éthiopiens que s’approprie le chancelier Séguier.

Moins de dix ans après les faits, le missionnaire récollet Eugène Roger fait paraître une première biographie de Zaga Christ, avec un récit de sa conversion, dans son ouvrage La Terre saincte, ou Description très-particulière des saints lieux, et de la terre de promission, avec un traitté de quatorze nations de différente religion qui l’habitent…, un discours des principaux poincts de l’Alcoran, et une relation véritable de Zaga Christ prince d’Éthyopie, qui mourut à Ruel prez Paris l’an 1638, le tout enrichy de figures, paru à Paris, chez Antoine Bertier, en 1646, avec privilège du Roi du 29 janvier15.

Puis une épitaphe de Zaga Christ paraît en 1647, dans le Jardin d’épitaphes choisies, publié à Paris, chez Gaspar Meturas16 : : « Ci-gît le roi d’Éthiopie, soit original ou copie, la mort a vidé les débats, s’il fut roi ou ne le fut pas »17. Le traité est attribué au feuillant Pierre Guillebaud (1585-1667), en religion Pierre de Saint-Romuald, par la notice bibliographique de la BnF (consultée en ligne le 23/08/2023).

Voir aussi Serge Aroles, « Le plus mystérieux personnage de l’histoire de Rueil : Zaga Christ, roi d’Éthiopie (Dambayo, ca. 1610 – Rueil, 22 avril 1638) », Bulletin de la société historique de Rueil-Malmaison, n° 38, décembre 2013, p. 55-67, disponible en ligne, consulté le 23/08/2023.

Texte 650,

 

Marie-Catherine Vignal Souleyreau

Docteur en Histoire, ingénieur d'études à Sorbonne Université, Faculté des Lettres, Institut de Recherche sur les Civilisations de l'Occident Moderne (IRCOM - Centre Roland Mousnier)

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  1. L’historienne Anaïs Wion parle d’un « interrègne », entre le règne de Särsä Dengel et celui de Susneyos, voir son étude Paradis pour une reine [Wäld Sä’ala, épouse de Susneyos] : le monastère de Qoma Fasilädäs, Éthiopie, XVIIe siècle, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019, voir p. 147 et suivantes ; et le courrier que Guy Patin adresse à Claude II Belin, médecin de Montpellier, le 24 avril 1638, dans Loïc Capron – éd. -, Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, Paris, Bibliothèque interuniversitaire de Santé, 2018, lettre 40, note 9, qui propose une notice biographique érudite de Zaga-Christ consultée en ligne le 23/08/2023. []
  2. Serge Aroles, article « Zaga Christ », dans Françoise Hildesheimeret Dénes Harai (dir.), Dictionnaire Richelieu, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 371-375. []
  3. Serge Aroles, article cité, p. 372. []
  4. Serge Aroles, article cité, p. 373. []
  5. Antoine Adam (éd.), Tallemant des Réaux : Historiettes, Paris, Gallimard, 1960, 2 volumes, coll. Bibliothèque de la Pléiade, t. 2, p. 1121. []
  6. Ami de Guy Patin et de Gabriel Naudé, il devient le bibliothécaire du cardinal de Retz et du premier président au parlement de Paris, Achille III de Harlay, voir la note 5 de la lettre que Guy Patin adresse à Claude II Belin, le 8 août 1644, dans Loïc Capron – éd. -, Correspondance complète de Guy Patin…, citée plus haut, note consultée en ligne le 23/08/2023. []
  7. Il s’agit du « tout premier portrait identifiable réalisé in vivum en Europe, d’un homme noir », selon Guiquello et associés, commissaires-priseurs, pour la notice de vente aux enchères, début 2023, de la copie du médaillon original de l’artiste italienne, lui-même conservé depuis 2021 à l’Allen Memorial Art Museum de l’Oberlin College, dans l’Ohio, après avoir appartenu au collectionneur français Jean Cottin – 1680-1745 -, notice en ligne consultée le 23/08/2023. []
  8. Le texte original en italien, transcrit par Leonardo Losa, a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau – éd. -, L’œil et la plume de Richelieu : correspondances croisées, 1635, Paris, éditions L’Harmattan, 2020, p. 526. []
  9. Loïc Capron, note 9 de la lettre de Guy Patin à Claude II Belin, 24 avril 1638, citée ci-dessus. []
  10. Voir Michel Popoff – pub. -, Prosopographie des gens du parlement de Paris (1266-1753) : d’après les ms. Fr. 7553, 7554, 7555, 7555 bis conservés au Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, Paris, le Léopard d’Or, 2003, 2 volumes, tome 2, p. 939. []
  11. Voir Guillaume Bautru au cardinal de La Valette, 11 novembre 1637, translation publiée en ligne, texte 650. []
  12. Voir l’ Historiette que Tallemant des Réaux consacre à Madame Saulnier, dans Antoine Adam -éd. -, ouvrage cité, t. 2, p. 256-258. []
  13. Ibidem. []
  14. Serge Aroles, article cité, p. 374. []
  15. Voir Loïc Capron, note 9 de la lettre de Guy Patin à Claude II Belin, 24 avril 1638, citée ci-dessus ; l’ouvrage est consultable sur la plateforme Gallica de la Bibliothèque nationale de France. []
  16. Voir le billet de Marine Parra, « À la recherche d’un roi », dans « Jardin » de lettres, publié en ligne le 25/08/2019, consulté le 23/08/2023. []
  17. L’épitaphe est reprise par Guy Patin, qui le tenait pour imposteur, voir Loïc Capron – éd.-, ouvrage cité en ligne, consulté le 23/08/2023. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marie-Catherine Vignal Souleyreau (23 août 2023). Zaga Christ (prince d’Éthiopie). Correspondance et papiers d'État du cardinal de Richelieu. Consulté le 16 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tqla


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