Léon Bouthillier, comte Chavigny, à Louis de Nogaret, cardinal de La Valette, 14 novembre 1635.

Ministère des Affaires étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Correspondance Politique Lorraine, vol. 27, f° 72-75. Minute. Pour le classement : « à M. le cardinal de La Valette, 14 novembre 1635 ».

Chiffre

Monseigneur,

J’ai mieux aimé prendre l’occasion du gentilhomme du comte de Hanau qui vous va trouver que celle du sieur Goulart [Louis Goulard ou de Goulard] pour vous écrire, afin d’avoir plus de loisir de vous rendre compte de plusieurs choses. Ledit sieur Goulart, qui est des mousquetaires du Roi, a été dépêché en toute diligence pour porter ordre à M. d’Angoulême de venir trouver le Roi. Le prétexte est pour informer Sa Majesté des affaires. Après quoi, on lui mande qu’il retournera, mais, en effet, on a dit ici qu’il y avait sujet de croire qu’il s’entendait avec les ennemis, et qu’il avait dessein de laisser périr les troupes pour leur donner moyen de vous faire du mal. Sur ce fondement, ou après la résolution que je vous mande, et lorsqu’il sera à Châlons, il verra un autre ordre de se retirer en sa maison de Normandie. On l’accuse aussi d’avoir volé et pris quantité de blés qu’il vend à cette heure sous des noms empruntés. Connaissant son humeur comme je fais, cette accusation me semble assez apparente. Mais, pour la première, je n’en puis croire, parce que je ne vois pas quel intérêt il aurait à faire cette méchanceté. Je vous prie, Monseigneur, de me mander votre opinion et de ne pas faire semblant à ce que ce soit du monde de ce que je vous écris.

Il ne vous sera pas malaisé de deviner que c’est M. S. [Servien] qui est l’auteur de tout ce que dessus. Ma pensée est qu’il l’a fait pour obliger M. le Comte [de Soissons], et qu’il veut <le> lier étroitement avec lui. Nous en avons eu déjà d’autres indices qui ont déplu à Monseigneur le Cardinal. Mais vous savez son naturel et ce qui s’est passé du temps de M. de Châteauneuf. Nous avons là encore quantité de productions contre ledit S. [« Servien » : barré], qui le l’ont fort ébranlé. Il a été à deux doigts de sa perte. Je ne sais s’il lui sera fort aisé de se bien remettre. Je n’ose vous écrire aucune particularité. Le P. J. [le père Joseph] s’est fort bien conduit en cette occasion. Et M. de Bullion a fait merveilles.

Je vous dirai en confidence que M. de La Meilleraye m’écrit que vous avez cru qu’une proposition qu’il vous avait faite avait été à mauvais desseins. Il m’a fait force protestations du contraire et que rien ne le peut empêcher d’être votre serviteur. Je vous conjure, Monseigneur, de bien vivre avec lui, car Monseigneur le Cardinal l’aime plus que jamais et n’a pas de petites pensées pour lui.

L’affaire de M. le duc Bernard [de Saxe-Weimar] est toute achevée. Je crois que le sieur Ponica [Ponitzkaw] est parti pour le retourner trouver. Sa Majesté est en résolution de lui faire un beau présent et a beaucoup d’envie de le voir. Mais elle n’estime pas qu’il soit à propos qu’il quitte l’armée jusqu’à ce qu’on ait vu quelle route prendront les ennemis.

Je n’ai osé parler de votre retour à Monseigneur le Cardinal parce qu’il vous loue incessamment d’être seul aujourd’hui qui ait de la passion et de la constance pour le service du Roi. Et il dit à tout le monde que vous n’avez pas la moindre pansée de revenir. Je vous supplie de ne lui en faire rien paraître par vos lettres et de laisser ce soin à vos serviteurs comme moi, qui essaierai de prendre mon temps.

M. le maréchal de La Force demande son congé avec de très grandes instances. On ne lui accorde pas si tôt à cause du rappel de M. d’Angoulême. La pensée de Monseigneur le Cardinal est de le lui donner dans quelque temps, et de vous laisser seul avec le duc Bernard, pour commander les deux armées. Je crois qu’il n’en peut avoir une meilleure et que les affaires en iraient beaucoup mieux. Je vous supplie encore une fois de ne parler à personne du monde de tout ce que je vous mande.

Aussitôt que je suis arrivé de Lorraine, j’ai fait donner ordre à M. Servien de rappeler M. de Bellefonds de Metz. Il a dit en ma présence à Monseigneur le Cardinal qu’il y avait longtemps qu’il l’avait fait. Il doit aller servir en Champagne, auprès de M. le Comte.

Je vous envoie le brevet que vous avez désiré pour le sieur de Campels¹. 

Pour ce qui regarde l’échange de La Chapelle [François Féry, dit « La Chapelle »] et du sieur de Picharnaut [Jean de La Ramière, sieur de Puycharnaud], Monseigneur le cardinal n’a rien voulu encore résoudre là-dessus². Mais vous pouvez toujours garder ledit La Chapelle.

Les deux roses [la princesse de Condé, née Charlotte-Marguerite de Montmorency, et sa fille, Anne-Geneviève de Bourbon-Condé] ne <…> sont à Saint-Germain pour y demeurer quatre ou cinq jours. Je les y vis hier, et ne fut pas sans parler du meilleur de vos amis. Elles m’ont commandé de vous faire un million de recommandations. Elles souhaitent encore de vous revoir, et me prennent parti de ce que l’on ne parle point de votre retour. Il faut avouer que Mademoiselle embellit tous les jours, mais qu’elle a eu esprit admirable. Elles voudront voir Monseigneur le Cardinal un de ces jours, et je serai leur conducteur. Et je m’assure que vous ne le trouverez pas mauvais. Je vous supplie, Monseigneur, de croire que jamais personne ne sera tant attaché à vous que je fais par l’obligation et par l’inclination, et que je serai à la vie et à la mort.

1. Le cardinal de La Valette a en effet écrit au comte de Chavigny, de Château-Salins, le 6 novembre 1635, pour solliciter en faveur de Léonard de Bossost de Campels, sergent-major à Metz, la confiscation des biens de Balthazar de Fiquelmont, seigneur de Mars-la-Tour, gentilhomme de la Chambre du duc de Lorraine, qui, malgré son serment de fidélité au roi de France, a choisi de suivre Charles IV. Le document est conservé au Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Correspondance Politique Lorraine, vol. 27, f° 28-29, translation publiée en ligne, texte 721. [↩]
2. Voir le billet que le cardinal de La Valette adresse au comte de Chavigny, de Pont-à-Mousson, le 18 octobre 1635, translation publiée en ligne, texte 712. [↩]

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