Récit, par le maréchal de La Force, de la bataille de Mélisey, La Neuvelle-lès-Lure, 25 mai 1635.

Ministère des Affaires étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires et Documents France, vol. 814, f° 89-91. Original de la main du secrétaire du maréchal de La Force. Pour le classement : « relation envoyée par Monsieur le maréchal de La Force de ce qui s’est passé entre l’armée du Roi et celle de Monsieur de Lorraine le 24 mai 1635 ».

Voir également le courrier d’accompagnement que le signataire adresse à Richelieu pour accompagner son récit (translation publiée en ligne, texte 714), ainsi que celui  donné le 27 mai par le cardinal de La Valette (translation à venir, texte 715), et l’ « Autre relation de la retraite du duc Charles, du camp de La Neuvelle près Lure le 26 mai  M DC XXXV », dans Antoine Aubery, Mémoires pour l’histoire du cardinal-duc de Richelieu, Paris, chez Antoine Bertier, 1660, 2 volumes, tome premier, p. 475-478. Antoine Aubery a utilisé les papiers de Jacques Talon, secrétaire du cardinal de La Valette, pour l’élaboration des Mémoires… de Richelieu. Cette « autre relation » en provient probablement, et jugée trop longue a fait l’objet d’une synthèse adressée le lendemain au cardinal-ministre.Les Mémoires du cardinal de La Valette renvoie à la publication du texte par Antoine Aubery pour pièce justificative¹.

Par les derniers avis que nous avons donnés du XVIII^e de ce mois, l’on aura pu voir l’état auquel étaient les affaires de deçà, et comme nous avions fait dessein d’aller aux ennemis pour les attaquer, même dans leurs logements. Mais ils en partirent le lendemain, ayant le duc Charles de Lorraine prit la marche de Passavant [Passavant-la-Rochère] et Plancher, où il s’était resserré pour tirer vers Mélisey et Luxeuil. Soudain que nous fûmes avertis par nos espions de leur départ, le même jour, nous fîmes marcher l’armée tout le reste de la journée et la nuit pour le suivre le plus près que nous pourrions. 

En effet, dès le lendemain, comme nous marchions, étant à une lieue du logement que nous faisions état de prendre, le marquis de La Force qui menait l’avant-garde, ses coureurs découvrirent trois ou quatre escadrons de leur cavalerie, qu’il fit pousser, et furent si bien pressés qu’il y en eut quelques-uns de tuer. 

Et depuis, par le moyen d’espions, il apprit que toute l’armée du duc Charles était à un quart de lieue de là, dans de grandes plaines au-delà de Melleze [sic]. Il s’avança pour les reconnaître, bientôt après il voit au bout de cette grande plaine toute leur armée sur une éminence qui dominait toute la campagne. Il nous en donna soudain avis, qui nous obligea de faire marcher diligemment tout le reste de l’armée, et cependant il se plaça à leur vue et prit l’assiette qu’il jugea la plus avantageuse pour, avec notre infanterie, pouvoir suppléer au grand nombre de cavalerie qu’ils ont par-dessus nous, ayant un ruisseau et un village à la main gauche et un bois de haute futaie à la main droite, qui resserrait un peu ladite plaine. 

Les ennemis s’avancèrent environ sept ou huit cents pas, comme s’ils eussent dessein de nous combattre. Comme le reste de l’armée fut arrivé, le tout fut soudainement mis en bataille et les canons placés de part et d’autre qui commencèrent à tirer et forces escarmouches de leurs Cravates. Il n’y avait nul qui ne jugeât que la bataille s’allait donner et est certain qu’il paraissait en tous un grand courage et disposition à bien faire. C’était environ les trois ou quatre heures après midi, nous croyions toujours qu’ils s’en venaient à nous et faisaient toujours avancer quelques corps de cavalerie et d’infanterie. 

Enfin, nous commençâmes à juger qu’ils ne voulaient pas se déplacer de l’avantage que leur donnait cette assiette et nous attaquer dans celle que nous avons prise, qui nous était aussi bien favorable pour nous garder d’être enveloppés de leur grand nombre de cavalerie. Ainsi toute la journée se passa en se contemplant les uns les autres et la continuation de ces escarmouches de Cravates. 

Les ennemis s’étaient saisis d’un petit village sur notre main droite, que nous jugeâmes nous pouvoir être désavantageuse [sic]. Monsieur Hebron le fit attaquer et les ennemis le quittant y mirent le feu. La nuit étant venue, chacun campa en sa même place et les ordres furent donnés de se retrancher diligemment.

Le lendemain, dès le point du jour, chacun fut sur ses armes, demeurant en la même assiette que le premier jour. Cette journée et la suivante se passèrent de même avec de continuelles escarmouches avec les Cravates, mais sans grand effet, le canon tirant aussi toujours de part et d’autre, qui fit de l’effet de tous côtés.

Nous jugeâmes qu’il n’y avait point d’apparence de quitter nos avantages pour les aller attaquer dans les leurs sans trop hasarder, mais, ayant commencé des travaux à droite et à gauche par des redoutes, nous connûmes bien que cette approche leur fâchait et d’ailleurs qu’ils étaient assez incommodés de vivres à cause qu’ils n’avaient que des montagnes derrière eux et le seul village de Mélisey.

La troisième nuit, ils prirent résolution de déloger et pour y donner plus de couverture avaient, deux heures avant la nuit, avancé leurs canons par deux endroits et tiré plus vigoureusement que de coutume, fait leurs feus de garde en plus grand nombre et fait passer trois ou quatre cents de leurs Cravates au derrière de notre armée pour nous amuser de ce côté-là et donner des alarmes, firent dès le jour couché marcher tous leurs canons, et leur bagage était parti dès le jour avant, de quoi nous ne pouvions avoir connaissance à cause de l’éminence où ils étaient campés. Toute leur armée défila par le derrière de cette façon sans sonner trompette, ni battre tambour. Au point du jour arriva un soldat qui avait été pris au fourrage quatre jours auparavant, qui nous vint assurer que toute leur armée était délogée et qu’il n’était resté que quelques escadrons pour faire la retraite.

Nous étant diligemment préparés, Monsieur le colonel Hebron se mit devant avec le corps de garde à cheval et cent mousquetaires pour les reconnaître. Comme il fut au haut de l’éminence où était leur campement, il trouve que tout le derrière de la plaine jusqu’au village de Mélisey était vide, hormis cinq escadrons de cavalerie qui faisaient halte à l’entrée du village. J’envoyai Monsieur de Rouville² avec trois escadrons pour l’appuyer et mille mousquetaires pris de divers corps, et bientôt après le marquis de La Force avec quatre escadrons commandés par Monsieur de La Roque-Massebaut et autres mille mousquetaires qui le suivaient. 

Dès que les ennemis virent les premiers commandés par Monsieur le colonel Hebron, ils lâchèrent le pied, les suivant environ un quart de lieue au-delà du village de Mélisey. Les ennemis avaient laissé sept ou huit cents mousquetaires sur une montagne de rochers et de bois pour favoriser leur retraite, qui firent leur décharge sur Monsieur Hebron quand il passa. Il ne laissa de continuer sa poursuite et le marquis de La Force marchant après, ils en firent autant sur lui. Il se résolut de les faire attaquer, ce que notre infanterie, et avec eux les gardes et dragons de Monsieur le cardinal de La Valette, firent si vertement qu’après avoir deux ou trois décharges, allèrent à eux l’épée à la main, de sorte que tout cela fut entièrement défait, le lieutenant-colonel de Mercy et le reste pris prisonnier, même le major et plusieurs capitaines et lieutenants. C’était ledit Mercy qui faisait la retraite avec l’élite de leur infanterie³. À cette attaque, nous y avons perdu La Roquette, major de Navarre, et le lieutenant de Ménillet y fut blessé, et sept ou huit soldats.

Monsieur Hebron continuant à pousser les ennemis avec les mousquetaires qu’il avait, commandés par le sieur de Beins, mestre de camp, Monsieur de Rouville, commandant de cavalerie, comme ils furent au village de Fraisse [sic, Fresse], où il y a une petite plaine au-deçà dudit village, et autant au-delà, donnèrent moyen à ceux qui se retiraient de bien reconnaître les poursuivants, dont une troupe qui était un peu avancée commandée par le sieur de Rouville, se trouvèrent un peu embarrassés à cause du feu qu’ils avaient mis audit village de Fraisse, qui donnait telle incommodité à ceux qui passaient devant par le grand chemin que cela les obligea de passer les uns à droite, les autres à gauche, de quoi les ennemis tirant profit avaient logé quelques mousquetaires dans un rideau avantageur [sic] et lors firent leur décharge sur les nôtres, et en même temps leur cavalerie les chargea, où il fut tué un gentilhomme de Monsieur le cardinal de La Valette nommé Larocque, et un autre des siens nommé Michelon, et les sieurs Descoutures et de Mondoucet y furent blessés. Le plus mal est M. Descoutures, duquel pourtant on ne désespère pas. Il y demeura des ennemis huit ou dix, parmi lesquels il y avait de leurs principaux officiers.

Après cette charge, ils continuèrent leur retraite assez promptement. L’on les poursuivait encore plus d’une grande lieue au-delà, et l’avis de tous était bien de continuer mais l’incommodité du pain dont les soldats n’en avaient point eu de tout le jour, et prenant une route qui nous éloignait fort de celui que nous pouvions attendre, et n’en pouvant point espérer en avant, étant le pays assez désert dans les montagnes, et du tout ruiné, nous fûmes contraints de retourner au campement dont nous étions partis pour nous rapprocher de Lure.

Nous apprenons par tous les prisonniers que le duc Charles avait renvoyé son bagage vers Brisach et qu’il faisait état de s’y en retourner, et nous est un extrême déplaisir que nous ne puissions continuer à les poursuivre pour l’impossibilité qu’il y a de faire subsister l’armée de-deçà, ce qui nous contraindra, à notre grand regret, de nous rapprocher de Remiremont, n’ayant moyen de faire subsister l’armée que de ce côté-là. Nous avons séjourné en ce lieu et le ferons tant que nous pourrons pour voir quelle sera la démarche dudit duc Charles. Il a logé cette nuit à Giraumeny [sic, Giromagny] et aux environs. 

Nous pouvons dire que tout ce qui s’est passé jusqu’ici a été fort à l’avantage et réputation des armes de Sa Majesté et qui les a rendues de tant plus redoutables en ces quartiers de-deçà. Monsieur de Gesvres, qui a désiré être porteur de celle-ci, et qui a vu toutes les choses qui se sont passées, pourra plus particulièrement représenter le tout.

Présentement, le dernier espion que j’avois envoyé vers l’armée du duc Charles vient d’arriver qui nous a rapporté l’avoir vu partir ce matin à sept heures, prenant leur marche vers Betfort [sic, Belfort], et que dès hier, sans arrêter le bagage, avait toujours marché, que parmi eux le bruit est qu’ils vont à Brisach, aussi leur serait-il impossible de subsister autour de Betfort.

Ayant envoyé visiter le nombre des morts, l’on me vient de faire rapport qu’il en a été compté cinq cent soixante et douze, et sur le grand chemin plus avant quarante, outre qu’il en a été tué d’écartés par les montagnes voisines, et de prisonniers il y en a plus de trois cents.

Fait au camp de La Neuvelle, ce 25^e mai 1635 

1. Jacques Talon (pub.), Mémoires de Louis de Nogaret, cardinal de La Valette, général des armées du Roi en Allemagne, en Lorraine, en Flandre et en Italie… Paris, imp. de P.-D. Pierres, 1772, 2 volumes, voir au tome premier, p. 129. [↩]
2. L’identification du sieur de Rouville est difficile : elle se rapporte probablement  à Jean de Rouville, ou à l’un de ses deux fils, Louis ou Hercule-Louis. [↩]
3. Les deux autres récits de la bataille de Mélisey permettent de préciser qu’il s’agit de François de Mercy et non de son frère Gaspard, en évoquant le décès, au cours des engagements, de Heinrich Hürus, comte de Schönau, beau-frère de Mercy. [↩]

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