Récit de la bataille de Mélisey par Louis de Nogaret, cardinal de La Valette, La Neuvelle-lès-Lure, 27 mai 1635.

Ministère des Affaires étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires et Documents France, vol. 814, f° 108-109. Originaire de la main de Jacques Talon, secrétaire du cardinal de La Valette. Pour le classement : « relation envoyée par Monsieur le Cardinal de La Valette sur le même sujet que celle de Monsieur de La Force »

Le document complète le récit de la bataille de Mélisey donné le 25 mai 1635 par le maréchal de La Force (le texte 713), qui choisit de mettre en avant l’action de son fils, le marquis de La Force, au détriment des initiatives du colonel Hebron et du cardinal de La Valette. Un troisième texte éclaire les évènements de manière déterminante :  l’ « Autre relation de la retraite du duc Charles, du camp de La Neuvelle près Lure le 26 mai  M DC XXXV », publié dans Antoine Aubery, Mémoires pour l’histoire du cardinal-duc de Richelieu, Paris, chez Antoine Bertier, 1660, 2 volumes, tome premier, p. 475-478. Antoine Aubery a utilisé les papiers de Jacques Talon, secrétaire du cardinal de La Valette, pour l’élaboration des Mémoires… de Richelieu. Cette « autre relation » en provient probablement, et jugée trop longue a fait l’objet d’une synthèse adressée le lendemain au cardinal-ministre. Voir aussi le courrier du cardinal de La Valette à Richelieu, de la même date, en accompagnement du récit, translation publiée en ligne, texte 716. Les Mémoires du cardinal de La Valette renvoie à la publication du texte par Antoine Aubery pour pièce justificative¹.

Relation du 27 mai 1635

Du camp de La Neuvelle, le XXVII^e mai 1635

L’armée du Roi étant partie de Héricourt le XX^e du mai pour suivre celle de Monsieur de Lorraine, nous nous en approchâmes le lendemain par hasard un peu plus près que nous ne croyons. Notre avant-garde se trouva en présence de toute leur armée dans une plaine assez large. Nous avions un village et un ruisseau à notre main gauche et un bois à notre droite. Nous fûmes quelque temps à attendre le reste de notre armée et je crois que si celle des ennemis eut été assemblée, il ne leur eut pas été difficile de nous défaire. Enfin, après avoir attendu près de trois heures, Monsieur Hebron arriva avec toutes les troupes et se mit en [ordre] bataille à notre main droite, à mille pas de l’armée des ennemis. Nous demeurâmes tout le reste du jour en cet état sans nous avancer les uns vers les autres. 

Il y eut seulement quelques légères escarmouches à la tête des armées sans perte de personne. Le canon tira de toute part et emporta quelques-uns de nos soldats et des leurs. 

À vous dire la vérité, ni nous ni eux n’avions envie de bataille. Monsieur Hebron fut seul d’avis de les combattre, mais son opinion ne fut pas suivie. Tout ce que nous pensâmes faire fut de camper au lieu où nous étions, où nous demeurâmes encore deux jours sans qu’il se [ne] passât rien de remarquable. Nous aperçûmes seulement le second jour que les ennemis faisaient marcher leur bagage derrière eux par une vallée, ce que nous jugeâmes par la poudre qui s’élevait et de là nous commençâmes à croire qu’ils voulaient déloger, ce qu’ils firent la nuit du troisième jour, après avoir allumé leurs feux le soir et fait la mine de vouloir demeurer dans leur camp. 

Nous fûmes avertis sur la pointe du jour de leur délogement, mais croyant qu’ils fussent plus éloignés, nous ne prîmes point résolution de les suivre avec l’armée. Messieurs Hebron, de Turenne et moi nous avançâmes seulement avec la garde de cavalerie jusqu’à leur camp où le marquis de La Force nous vint trouver. Et là, nous vîmes qu’ils avaient délogé et qu’ils avaient laissé [dans] un village <huit> escadrons de cavalerie pour faire leur retraite. Cela obligea Monsieur Hebron d’envoyer demander à Monsieur le maréchal de La Force la cavalerie de l’avant-garde et quelques mousquetaires commandés pour suivre leur armée qui se retirait par un pays extrêmement difficile. 

Nous fûmes longtemps à attendre l’infanterie qui arriva au bout d’une heure, et, en même temps, nous suivîmes les ennemis par un détroit, où nous ne pûmes passer sans défiler. Nous les attrapâmes auprès d’un bois, le long d’un ruisseau. Ils avaient commandé environ mille mousquetaires pour faciliter le passage de leur cavalerie, qui se mirent dans un bois fort épais et tirèrent quantité de mousquetades aux nôtres qui les suivaient. Quelques-uns demeurèrent à les investir, et Monsieur Hebron, et Monsieur de Turenne et moi, suivîmes leur cavalerie. Ceux qui demeurèrent derrière furent longtemps sans oser entrer dans le bois où étaient logés les mousquetaires des ennemis. Mais à la fin, Vallins, capitaine de Navarre, d’un côté, et Lalagne, avec vingt des gardes de Monsieur le cardinal de La Valette de l’autre, et les deux Campelz, et Aigueville, avec quarante dragons qu’il avait amené de Metz, allèrent l’épée à la main aux ennemis et en tuèrent la plupart et firent les autres prisonniers. Lalagne tua le lieutenant-colonel, qui était beau-frère de Mercy, et homme extrêmement estimé². On dit qu’il eut payé quarante mille écus de rançon s’il eut été pris. <Lefebvre-Binot> qui s’était trouvé là avec vingt-huit maîtres de la compagnie de Monsieur le cardinal de La Valette y eut son cheval tué, La Suie y était aussi qui n’eut point de mal. 

Monsieur Hebron était passé à la main droite avec quelque infanterie ramassée et ceux qui le suivirent étaient avec deux cent chevaux où Monsieur de Turenne se trouva. Nous suivîmes les ennemis plus de trois lieues en espérance de prendre leur canon. Et il y a apparence que cela se fût fait sans la peur qui se mit dans notre cavalerie, car étant arrivés à un village nommé Fresse, où les ennemis mirent le feu afin de nous ôter la connaissance de ce qui était devant nous, nous nous arrêtâmes pour chercher un passage, où quelques-uns des nôtres voyant les ennemis au-delà du village et trouvant quelques carabins dans un verger qui nous tirèrent quelques coups, s’arrêtèrent sans vouloir charger, quelque commandement que nous leur en faisions. Cela obligea Monsieur de Turenne et ceux qui étaient avec lui de passer les premiers et d’aller par le côté du village où quelque cavalerie allemande du vieux régiment du Jean de Werth nous attendaient. Ceux qui se trouvèrent dans le passage étaient dix ou douze volontaires sans armes. Monsieur de Turenne y était sur le plus méchant cheval qui fût jamais. Le marquis de Gesvres y était fort bien monté et bien armé qui fit fort bien. Le sieur de Nettancourt et le reste étaient en pourpoint, hors un parent de Monsieur de La Force qui avait des armes. Les chevau-légers que nous avions étaient demeurés derrière nous, sans avoir voulu passer devant, de sorte que les douze hommes qui étaient là furent obligés de soutenir l’effort des ennemis qui étaient quelque soixante hommes bien armés. 

De ceux qui se mêlèrent, il y eut deux gentilshommes de Monsieur le Cardinal de La Valette portés par terre, dont l’un qui s’appelait La Roque fut tué tout raide, et l’autre nommé Michelon blessé de cinq ou six coups et laissé pour mort. Coutures [Jean d’Aussy, dit “Descoutures”], sergent de bataille, y fut fort blessé. Mondoucet, aide de camp, eut un coup de pistolet par le bras, qui lui sort à l’épaule, et le maître d’hôtel de Monsieur de Turenne fut tué tout raide, qui était un extrêmement brave soldat. Lefebvre-Binot fut le premier qui chargea les ennemis et tua un homme armé d’un coup d’épée. 

Après cela, les ennemis tournèrent le dos et nous les pressâmes environ cent pas, jusqu’à ce que douze ou quinze mousquetaires des gardes de Monsieur de Lorraine arrêtèrent notre cavalerie [sic], laquelle s’épouvanta de telle sorte que l’on ne put jamais l’empêcher de fuir plus de deux cent pas sans qu’un seul homme voulût jamais tourner ni se rallier. Cent mousquetaires en même temps s’avancèrent du régiment de Turenne, commandés par un capitaine nommé d’Orthe, qui empêchèrent les ennemis de nous suivre, et mirent pied à terre à un passage où ils arrêtèrent les ennemis et les firent fuir comme avait fait notre cavalerie. 

Pour les mousquetaires de Monsieur de Lorraine, je ne crois pas qu’on puisse faire une meilleure action que firent ces cent hommes de Monsieur de Turenne. Le capitaine, le lieutenant et l’enseigne nous empêchèrent d’être défaits par deux cents chevaux. 

Monsieur Hebron était sur un haut avec cent mousquetaires, qu’il fit tirer sur les ennemis, de sorte qu’ils fuirent de leur côté comme l’on avait fait du nôtre. Mais notre cavalerie ne se pouvant rassurer si tôt, nous nous arrêtâmes quelque temps et laissâmes passer l’infanterie qui poussa les ennemis près d’une lieue jusqu’à l’ouverture de la plaine. Ce désordre nous empêcha de prendre le canon que Monsieur Hebron vit à cinq cents pas de nous. 

Leur armée eut tant d’épouvante qu’elle se sépara en deux ou trois corps et le manquement de pain [sic] nous contraignit à venir loger dans notre camp. 

Les munitionnaires ont failli à faire tout perdre. Ils nous font manquer de pain en un pays où le blé est en abondance. 

Cette action a été assez avantageuse au service du Roi et, si nous avancions vers les ennemis, il y a apparence ou qu’ils repasseraient le Rhin, ou que leur armée se dissipera. Je ne crois pas qu’il y ait un homme au monde plus entendu à la guerre que Monsieur Hebron. 

J’oubliais à vous dire qu’un lieutenant du régiment de Monsieur de Turenne tua un lieutenant-colonel de cavalerie des ennemis qui passa le premier pour suivre les nôtres. Le lieutenant de Monsieur de Turenne se nomme Balagny³ et était à pied et en pourpoint, l’autre armé et à cheval. Ceux qui ont compté les morts des ennemis en ont trouvé cinq cent douze de morts. Nous avons trois cents prisonniers, de sorte qu’il y a apparence que les ennemis en ont perdu plus de mille et se retirèrent en grande diligence et grand désordre.

1. Jacques Talon (pub.), Mémoires de Louis de Nogaret, cardinal de La Valette, général des armées du Roi en Allemagne, en Lorraine, en Flandre et en Italie… Paris, imp. de P.-D. Pierres, 1772, 2 volumes, voir au tome premier, p. 129. [↩]
2. Le récit de la bataille de Mélisey publié par Antoine Aubery précise qu’il s’agit de Heinrich Hürus, comte de Schönau, fondateur de la lignée von Schönau-Schwörstadt, et établit ainsi que c’est François de Mercy, et non son frère Gaspard, qui prend part à l’engagement, à la tête de l’infanterie du duc de Lorraine. [↩]
3. Le vicomte de Noailles identifie Monsieur de Balagny comme comme Jean de Montluc, seigneur de Balagny. Voir son ouvrage Épisodes de la guerre de Trente Ans : le cardinal de La Valette, lieutenant général des armées du Roi (1635 à 1639), Paris, Perrin, 1906, consultable sur Gallica . Le père Anselme de Sainte-Marie indique cependant que celui-ci est dit « le marquis de Montluc ». Il s’agirait plutôt de son frère, Alexandre-Henri de Montluc, marquis de Balagny, voir père Anselme de Sainte-Marie et M. du Fourny, Histoire généalogique et chronologique de la Maison royale de France, troisième édition, tome huitième, Paris, Compagnie des Libraires associés, 1733, p. 291. [↩]

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