Louis de Nogaret, cardinal de La Valette, à Richelieu, La Neuvelle-lès-Lure, 27 mai 1635.

Ministère des Affaires étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Correspondance Politique Allemagne, vol. 12, f° 163-164. Original autographe.

Il s’agit du courrier qui accompagne le récit de la bataille de Mélisey que le signataire adresse le même jour à Richelieu (translation publiée en ligne, texte 715).

Monseigneur,

J’ai cru vous devoir envoyer une relation du combat qui se fit avant-hier à la retraite de l’armée de M. de Lorraine, afin que vous soyez informé de la vérité de ce qui s’y est passé. M. Hebron fut, seul, cause de tout ce qui se fit et il faut avouer qu’il a une grande connaissance de la guerre et une affection pour votre service très particulière. Nous nous sommes trouvés près des ennemis sans y penser être et avons demeuré trois jours en présence les uns des autres sans nous oser attaquer. M. le colonel Hebron fut seul d’avis de donner bataille. Mais comme le conseil était hasardeux [hésitant], il ne fut suivi de personne. La retraite des ennemis nous donna lieu de les suivre, ce qui se fit sans avoir été résolu auparavant. M. Hebron étant allé reconnaître leur camp et voyant le chemin par où les ennemis se retiraient, se résolut de les suivre ainsi que vous verrez dans la relation.

Si nous allons après eux, leur armée se retirera au-delà du Rhin, ou se dissipera, car l’épouvante est dans leur armée. Si notre cavalerie n’eut eu une extrême faiblesse, nous prenions leur canon. Mais à dire la vérité, elle s’étonna extrêmement, sans qu’il fût en mon pouvoir de la rassurer. Cela n’a pas empêché que nous ne leur ayons tué cinq cent douze hommes, deux lieutenants colonels, un d’infanterie et un de cavalerie, et d’autre chefs que nous ne connaissons pas. Nous avons 200 prisonniers. Leurs troupes sont extrêmement bonnes et l’incapacité de ***.

Il y a trois choses auxquelles je crois qu’il est nécessaire de remédier. La première est au pain, en châtiant nos munitionnaires, qui nous font mourir de faim dans un pays où le blé est en abondance, nous font perdre les occasions de défaire les ennemis et font dissiper notre armée. La seconde est aux recrues de l’infanterie et au renouvellement de leurs armées, car quoique ce que nous avons d’hommes soient extrêmement bons, ils ne laissent pas de s’affaiblir et les soldats, ayant été tout l’hiver à la campagne, ont besoin d’un mois de repos pour se remettre. Je crois qu’auparavant, il faut reprendre <…> nettoyer tout ce qui est au-delà du Rhin. La troisième est aux désordres de la cavalerie, laquelle est la plupart du temps sans ses chefs. C’est un corps où il ne se trouve quasi point d’officier et je crois, Monseigneur, qu’il vous faut résoudre à faire le plus de cavalerie allemande qu’il sera possible et à prendre des chefs qui savent le métier. Vous avez le comte [de] Dampierre dans cette armée, à qui vous pouvez faire 500 chevaux allemands¹. C’est un homme aussi courageux, aussi entendu et aussi modeste qu’il s’en puisse trouver dans le royaume. Il en donna encore avant-hier des preuves, lorsque nous suivions les ennemis, car, étant derrière avec son escadron, à la queue des troupes, les Hongrois vinrent derrière notre camp et mirent force gens en déroute, qu’ils eussent bien embarrassés s’il ne fût demeuré avec dix maîtres et arrêté près de deux cents chevaux des ennemis. 

Je vous supplie très humblement d’empêcher qu’on ne me nomme dans la relation qu’on fera du combat de la cavalerie, où je ne me suis trouvé que par nécessité et parce que notre cavalerie ne voulut pas aller au combat, quoi que je lui dise par diverses fois. Plusieurs personnes ont témoigné beaucoup de cœur, ainsi que vous le pourrez apprendre par le marquis de Gesvres, qui était présent, et lequel a fort bien fait. M. de Turenne a fort bien servi et je vous puis dire avec vérité qu’il est capable d’une plus haute charge que celle de maître [de] camp. C’est l’avis de M. Hebron, et de tous ceux qui sont dans cette armée.

Le marquis de La Force s’est trouvé au combat de l’infanterie. Il me semble que Monsieur son père et lui ont quelque petite jalousie contre M. le colonel Hebron. Je vous supplie très humblement de ne dire pas que ce soit moi qui vous le mande. Il y a deux capitaines dans cette armée qu’il me semble à propos d’attacher à votre service, La Cour d’Argis, de Normandie, et Valeins², de Navarre. Le premier commande dans Lure, et c’est un homme aussi capable de commander dans une place, qu’il y en ait dans l’infanterie. Je crois que vous le pourriez mettre dans celle dont vous me fîtes l’honneur de me parler il y a quelque temps sur le sujet du comte de Guiche. Je ne sais si vous vous en ressouviendrez. L’autre est un extrêmement brave homme qui fut encore avant-hier très courageusement au combat de l’infanterie.

Lagarde-<Myssolline>, qui a épousé Catin de Gault, craint qu’on ne lui ait fait de mauvais offices auprès du Roi. Il m’a prié de vous témoigné le service qu’il rendit hier. Il menait les Enfants perdus de Normandie où était M. Hebron. Il y servit fort bien et s’il vous plaît que je lui dise que vous avez dit du bien de lui au Roi, je crois qu’il ne sera pas mal <…> particularités que je vous puis écrire. Je prie Dieu qu’il conserve votre santé et qu’il me donne le moyen de vous témoigner par mes services très humbles avec combien de passion et de reconnaissance je suis, Monseigneur, votre très humble, très obéissent et très obligé serviteur,

Le cardinal de La Valette

Du camp de La Neuvelle, ce 27 mai 1635

M. Gobelin fait ce qu’il peut pour nous faire avoir du pain et il est bien d’avis qu’on châtie les munitionnaires qui sont à Nancy et en Lorraine, et ne laissent que deux commis dans l’armée sans argent ni équipage. M. Bouthillier vous fera voir la relation que je lui envoie de ce qui s’est passé pour vous la montrer.

1. La référence au comte de Dampierre peut se porter à Étienne II du Val, comte de Dampierre, ou à Jacques II du Val, comte de Dampierre. Il reste difficile de distinguer ici l’un ou l’autre des deux frères. [↩]
2. Ou Vallins, Valin. [↩]

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