Sylvestre Crugy de Marcillac, évêque de Mende, à Richelieu, Toul, 7 août 1636.

Annotation et indexation établies en collaboration avec Monsieur Charles-Henri de Sommyèvre

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Correspondance Politique Lorraine, vol. 29, f° 364-365. Original, de la main d’un secrétaire. Suscription au f° 365 v° : « à Monseigneur ». D’une écriture différente, pour le classement : « 7 août 1636 ».

Monseigneur,

Les divers avis qui me furent donnés il y a cinq ou six jours que le duc Charles était arrivé à Saint-Mihiel où il assemblait une armée assez considérable et faisait conduire du canon avec dessein d’attaquer quelque place, et que particulièrement on parlait de Toul, m’ont obligé de m’y venir jeter dedans, comme considérant bien que cette place est de grande importance au service du Roi, tant à cause du passage de la France en Lorraine et Pays messin, qu’à cause de la grande quantité de blé qui y est présentement, et sachant bien d’ailleurs que la garnison y est fort faible, et que ce qui a échappé des habitants aux ravages de la peste serait grandement confirmé par ma présence dans l’affection qu’ils ont de servir le Roi. Je ne m’étais pas trompé dans cette créance, chacun m’ayant témoigné à mon arrivée une forte résolution à bien faire. En même temps, je donnai ordre de faire approcher de la ville quatre compagnies du régiment de Rebé ou de Turenne, qui étaient dans des quartiers assez mal assurés à la campagne. Ainsi, Monseigneur, je me trouvai déjà en état de défendre la place, et d’arrêter l’ennemi quelque temps, s’il lui eût pris fantaisie de s’y attacher. Mais il a témoigné qu’il avait un autre dessein, car le lendemain de mon arrivée, qui fut avant-hier, cinquième de ce mois, j’eus avis que ses troupes commençaient de filer, ce qui me fut confirmé peu après par nouvelle assurée. 

Le duc Charles y est certainement en personne, et partit ledit jour 5^me, du château de Kœur, près de Saint-Mihiel, où il avait couché, et alla coucher à Taillancourt, dans le château du sieur d’Amante [Claude de Verrières, seigneur d’Amanty¹.], n’y ayant point de maison où il ait voulu entrer qui ne lui ait été ouverte, quoiqu’il ne fut pas en état d’en forcer aucune. Toute son armée campa aux environs de Taillancourt, et fut logée dans des villages voisins, d’où elle partit hier matin, prenant le chemin de Neufchâteau, qui est sans doute celui de la Franche-Comté. Ceux qui l’ont vue passer m’ont rapporté qu’il y peut avoir quelques quatre mille chevaux, dont la plupart ne sont que paysans mal montés. On m’a dit que ledit duc a fait brûler à Taillancourt bonne partie du bagage qu’il menait, et en avait laissé une partie. Il n’a ni infanterie ni canon, mais il fait courir que cela le doit suivre, ce que je ne crois pas. On m’a assuré, pourtant, qu’il a laissé quelques dragons dans Saint-Mihiel, et une compagnie de carabins de ce pays dans le château de Kœur. J’y ai envoyé pour le reconnaître. 

Cependant, Monseigneur, voyant le danger passé ici, je m’en retourne à Nancy pour y continuer mes soins au service de l’armée, et m’avancerai vers Dieuze pour pourvoir à ses nécessités autant que la misère du pays et le manque de charroi me le pourront permettre.

J’ai écrit ci-devant à Votre Éminence qu’il était fort important d’envoyer quelqu’un de-deçà avec de l’argent pour commencer de travailler à acheter des blés. On les aurait sans doute maintenant à beaucoup meilleur marché qu’on ne fera dans deux mois. Et si l’on diffère davantage, on en perdra l’occasion. Les mauvais exemples que l’on voit tous les jours des châteaux qui sont à la campagne, où les ennemis trouvent aux occasions commodité et <…> m’obligent de représenter encore à Votre Éminence qu’il est bien à propos de ne laisser pas sans châtiment tous ceux qui tomberont en faute de ce côté-là, et de supplier Votre Éminence d’écrire à M. le marquis de Sourdis de ne se mettre pas au-devant pour empêcher ces rasements et de laisser continuer celui de Hodonviller [Haudonville].

Par mes précédentes dépêches, j’ai supplié Votre Éminence de se souvenir des sieurs d’Allégret et de Saint-André [Jacques de Saint-André d’Apchon], qui sont ceux qui ont pris La Chapelle. Je les vois si pleins de bonne volonté de faire tout ce qu’on désire d’eux et d’entreprendre tout ce qu’on leur commandera que je ne puis encore m’empêcher de me rendre importun à Votre Éminence en leur faveur, ni de la supplier comme je fais très humblement, de se ressouvenir d’eux, s’il vient à vaquer quelques compagnies dans les vieux régiments. Je suis, Monseigneur, et serai toute ma vie avec respect et fidélité, Monseigneur, votre très humble, très obéissant, très fidèle et très obligé serviteur,

Marcillac, évêque de Mende

À Toul, ce 7^me jour d’août 1636

1. Après le décès de Claude de Verrières, sa succession, avec le château de Montbras, la seigneurie de Juilly et la seigneurie d’Amanty, de moindre importance au sein du patrimoine familial,  n’est réglée qu’entre 1643 et 1668. Voir François de Chanteau, Notice historique et archéologique sur le château de Montbras (Meuse), nouvelle édition par Maurice de Chanteau, Paris, Alphonse Lemerre éditeur, 1885, p. 154-155. [↩]

---

---