Paul Hay du Châtelet à Richelieu, Rueil, 20 mai 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France vol. 802, f^° 183-184. Le texte original a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 219-220.

Monseigneur,

La compagnie se vient de lever. Messieurs garde des sceaux [Charles de L’Aubespine, marquis de Châteauneuf], d’Effiat et Bullion vont dîner à Suresnes chez M. Aubry [Robert Aubry, ou Aubery], M. Bullion va coucher à Paris pour signer le traité de la restitution des marchandises de France et Angleterre.

Il vient d’être résolu que les requêtes présentées par l’accusé [Alexandre d’Halluin, seigneur de Wailly] seront renvoyées au Roi, sur les conclusions de M. le procureur général [Mathieu Molé]. Celle de l’appel comme d’abus y est. Cependant on a tout sursis.

En l’affaire de la présidence, il y a deux difficultés. L’une qui est faite par le parti qui interjette de son appel comme d’abus, et qui ne veut point de juge, l’autre de la part du juge-même, et qui ne le veut point être. L’une ne dépend point nécessairement de l’autre, car il est préalable de faire droit sur l’appel, qui est suspensif et qui arrête la procédure, tellement qu’il est absolument nécessaire d’y pourvoir promptement. 

Il faut examiner comme on le fera, et si le Roi le peut dans le Conseil. Que le Roi ne le puisse, ce serait douter de l’autorité de Sa Majesté, laquelle, comme le souverain juge a seule source de toute la justice de son royaume, a la primitive compétence de connaître de tous les griefs de ses sujets. Le Roi, originairement, jugeait toutes les foules d’oppressions qui venaient de la cour de Rome et entreprise des ecclésiastiques contre les lois du royaume et liberté de l’Église gallicane. Autrefois, elle s’est plainte que Sa Majesté renvoyait telles matières à ses parlements, et souvent depuis, le clergé de France a demandé que les appellations comme d’abus fussent jugées au Conseil, et depuis s’est relâché et requit que les reliefs fussent scellés  du grand sceau. Le Roi ne s’en est déchargé sur les officiers que pour éviter de se brouiller avec le Pape [Urbain VIII], et non pas pour se priver du droit auquel il ne peut renoncer, étant une partie essentielle de la royauté. Le clergé ne le blâmera pas de cette forme, puisqu’il l’a recherché lui-même. On ne dira pas aussi que ce soit une nouveauté, qui est pour le second point. 

L’appel comme d’abus du bref donné de motu proprio pour la réforme des augustins au cardinal de Bérulle fut évoqué et jugé au Conseil. Il contenait beaucoup de clauses abusives. En celui dont il est question, le plus subtil avocat du palais n’en saurait trouver une.

L’appel comme d’abus de la bulle de réformation octroyée à M. le cardinal de La Rochefoucauld y a été jugée en 1625.

Quoique le parlement fût saisi de l’appel, que parti oui de par-devant un commissaire à la barre y eût défense audit sieur cardinal de l’exécuter. Le Parlement ne peut connaître de celui-ci ni aucun autre juge, parce que l’interdiction du procès du maréchal de Marillac, circonstances et dépendances, est générale. Après la décision d’aujourd’hui, le Roi seul en peut connaître. Ces appels des deux bulles ci-dessus furent sursis le Roi séant. Il y en a un million d’autres jugés au conseil de Justice.

L’appel comme d’abus de ce qui s’était fait à Cîteaux, pour l’élection d’un général, y fut jugé à Compiègne en 1624, et un maître des requêtes envoyé pour l’exécution de l’arrêt.

Un autre appel comme d’abus de l’union d’un prieuré au collège de Reims au profit des pères jésuites, retenu au Conseil à mon rapport, et depuis jugé, comme je crois, par M. de Lauzon en 1626.

Un autre jugé à son rapport ou de M. Danault [Josias Daneau] <…>, par un petit docteur et théologal d’Avranches, de certaine ordonnance et de son évêque, qui le condamna à quelque peine et une infinité d’autre. Aussi que M. Le Bret lui maintint hier avec opiniâtreté que le Roi le pouvait et devait juger, lui murmurait que le Parlement en devait être juge, puis maintint que ce devait être le Grand Conseil. Ni l’un ni l’autre ne peuvent être jugés. Et la validité ou compétence d’un commissaire ne l’étant point de la commission, ni de la personne accusée, je voudrais bien savoir pourquoi le Grand Conseil est plus compétent que le [Conseil] privé. Il a nommé M. de Lauzon pour rapporteur de toutes les requêtes de l’accusé. Il a dit aussi qu’il vous allait écrire la résolution d’aujourd’hui. L’affaire presse et me semble que le retardement est favorisé. Il faut peu aider à l’accusé pour lui faire passer Pâques, le temps vous confirmera ma prophétie.

M. de Bullion se rendra demain ici de bonne heure. Je recevrai ce soir vos commandements chez M. des Roches. Vous vîtes hier dans le mémoire de M. de Bullion qu’il vous nomma M. de Roissy [Jean-Jacques de Mesmes, seigneur de Roissy], Livet et [Jacques] Talon, mieux informés de telles matières et difficultés qui sont, en ce point, sans fondement ni raison. Il les faut faire avertir par le Roi. Il faut que les juges et les récusés se rendent lundi de bonne heure près du Roi, et que ceux que vous choisirez pour l’assister en cette affaire soient <assurés> à Saint-Germain, car tous les jours il cherchera cet expédient. L’arrêt doit porter que, sans s’arrêter audit appel comme d’abus, auquel l’appel n’est point recevable, ni auxdites récusations, il sera passé outre avec les interdictions ordinaires. Vous aurez demain au soir des nouvelles de ce que vous m’avez commandé. Je suis, Monseigneur, votre très humble, très obéissant et très fidèle serviteur, 

Chastelet [Châtelet]

De Rueil à midi, ce 20 de mai 1632

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