Charles Le Roy, seigneur de La Potherie, à Richelieu, Aix-en-Provence, 24 mai 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 804, f^° 155. Le texte original a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 226.

Monseigneur,

La créance que j’ai eue que MM. le maréchal de Vitry et baron de Chabans avaient mandé à Votre Éminence de quelle importance était la conservation des îles d’Hyères, mais particulièrement de Porquerolles et Ribaudan [Grand Ribaud], a été cause que, pour ne l’ennuyer, je n’ai osé lui en écrire. Mais depuis, y ayant repensé, j’ai estimé que les avis qu’ils en ont donné à Votre Éminence m’accuseraient plutôt qu’ils ne m’excusaient, puisque, assez souvent, je lui fais entendre des affaires de moindre conséquence, et que je ne puis douter qu’elle n’ait appris de quelque autre endroit. Je mandai, il y a sept ou huit mois, que toutes les galères qui vont du Levant au Couchant, et du Couchant au Levant, sont obligées de passer le long des îles s’ils ne veulent courir fortune de se perdre. J’ajoute que pour entrer ou sortir du canal, il faut qu’elles passent entre la pointe de Porquerolles et Ribaudan, où, si on avait fait deux forts, elles feraient toutes nécessités d’aller arraisonner, et six mois l’année la plus grande partie des vaisseaux s’ils ne se veulent mettre en hasard d’être jetés en Barbarie. Ce détroit ne peut se défendre à coups de mousquet. Les mêmes îles ne sont de conséquence, d’autant qu’elles sont éloignées de la terre, de beaucoup plus que la portée du canon, et qui est maître du passage n’a que faire de leur aide ni de leur secours. 

Un peu de dépense rendrait ce passage d’aussi grande considération que celui du roi du Danemark, qu’on dit être son plus clair et assuré revenu, et tous ceux qui le considèrent s’étonnent et comme jusqu’à présent on ait négligé de s’en rendre maître. Si les avis que les serviteurs de Sa Majesté a en Italie donnent à M. le maréchal de Vitry et à leurs amis dans la province des desseins que le roi d’Espagne et le Grand-duc [de Toscane] ont de s’en saisir, il faut que quelques mauvais Français qui sont en ces quartiers leur en aient fait naître l’envie. Les 22 et 23, il est venu des avis de Venise, de Rome, de Gênes et de Naples, qu’à Naples il y a XVIII galères et XX vaisseaux, prêts à partir qui doivent prendre à Livourne les galères de Florence et cinq galions, qu’outre l’infanterie, ils chargent de la cavalerie et une grande quantité de pics et de pelles, que le bruit commun est qu’ils vont à Barcelone. Mais le plus certain et assuré est que cet apprêt est pour la Provence et particulièrement pour les îles. 

M. le maréchal y apporte l’ordre qu’il peut, mais le principal doit venir des bons avis que Votre Éminence donnera et des résolutions qu’elle fera prendre à Sa Majesté. Si les Espagnols s’y étaient une fois logés, il serait bien difficile de les en chasser. Pourvu qu’on commette des gens de bien pour prendre aux ouvrages et à la dépense, elle ne sera pas grande. Sa Majesté a été très mal servie en ce qui a été fait au port de Toulon, d’autant qu’en la muraille qu’on a faite pour couvrir le port, n’y ayant rien de flanqué ni de ferré, elle peut plus nuire que servir. Elle n’est bonne que contre les voleurs. Ce n’est pas ma profession, mais le sens commun fera faire un pareil jugement à tous ceux qui verront l’ouvrage. J’ennuie Votre Éminence, et finirai par une véritable protestation que je lui fais de demeurer toute ma vie, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur, 

de La Potherye [Potherie]

À Aix, ce 24 mai

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