Monsieur de La Grange-aux-Ormes à Richelieu, 9 juin 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 804, f^° 183-185. Le texte original a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 255-257. La lettre est signée « Abaréa », l’écriture ne laisse pas de doute sur la véritable identité de l’expéditeur, M. de La Grange-aux-Ormes. 

Monseigneur,

L’arrivée de Monsieur¹ en ces quartiers avec deux mille chevaux, la présence de Cordova [Don Gonzalès de Cordoue] avec environ dix-huit mille hommes auprès de Metz, et la résolution que M. de Lorraine a prise de se perdre avec eux, mettent cette frontière en grande alarme et les gens de bien en peine de ce que l’armée du Roi n’a prévu et prévenu cette libre conjonction². Il semble que Monsieur soit résolu d’envoyer ses deux mille chevaux, et possible encore plus grand nombre, vers les lisières de la Champagne et de la Bourgogne, ou, selon d’autres, vers la Bresse côtoyant la comté de Bourgogne, pour émouvoir les mauvais Français et causer des révoltes en lieux où ils ont des pratiques. M. de Lorraine en tirera cependant l’avantage que l’armée du Roi ne pourra attaquer aucune place, vu la forte cavalerie de Son Altesse et de Cordova, si elle ne retient deçà la sienne et ne la met aux trousses de celles de Monsieur. Son Altesse paraît si peu émue du péril où elle se met, que ceux qui croient que le bon sens ne lui manque pas, tiennent pour certain qu’elle assure sur quelque coup. C’est pourquoi, Monseigneur, vous avez à y avoir l’œil. Et pourvu que Dieu conserve Sa Majesté et vous, tout vous succèdera.

Je suis pleinement informé que Clermont [-en-Argonne] est la place la mieux garnie d’hommes et de toutes munitions qui soient en l’Europe, et que selon l’ordre des affaires, elle peut tenir plus de deux mois. Si l’armée de Sa Majesté est forte comme elle doit, Nancy n’est pas plus tenable car, si Son Altesse n’y jette toute son infanterie, elle ne la peut garder. Et si elle le fait, ses autres places demeurent abandonnées, et lui ne s’y enfermant pas, réduit avec deux mille cinq cents chevaux effectifs et assez bons à fuir devant celle de Sa Majesté.

Il y a mésintelligence entre le père et le fils³ jusqu’à passer à paroles aigres et injures, et son peuple, et sa noblesse, fort désireux d’un plus paisible gouvernement, leurs partisans font état que Metz, par le moyen de la citadelle, leur servira et qu’en la Provence, Languedoc, et Guyenne, ils auront des amis. Comme j’ai reconnu le peuple en mon voyage, il serait aisé à débaucher par les prétextes ordinaires. C’est pourquoi il semble que les remèdes doivent agir promptement et par-deçà, sans donner loisir aux mauvaises humeurs de gagner le cœur.

Si nous eussions en-deçà seulement cent chevaux, nous eussions hier soir enlever M. d’Elbeuf en son quartier, à la faveur des bois et de quelque infanterie. Il semble aussi qu’on leur doit ôter le Pont-à-Mousson, place faible mais importante pour eux, à cause du pont sur la Moselle, car, à la faveur d’icelui, ils mettront toujours ce fleuve entre eux et nous, les gués en étant éloignés. M. de Vaubecourt sert très bien et, avec vérité, est fort nécessaire deçà. Mais je crois être obligé de vous dire que si vous avez volonté de le gratifier de la lieutenance de Roi au Verdunois, qui est ce qu’il désire seulement, il vous importe que ce soit sans délai et pour cause.

J’ai vu un pronostic qui porte que les desseins de Monsieur seront infortunés cette année, à cause de la direction de son ascendant au quadrat de mars. Un de leurs ministres a dit aussi à un mien ami que Cordova a ordre de secourir M. de Lorraine, et que l’Espagnol abandonnera aux Hollandais les places qu’on leur attaquera, pour, sous prétexte de ce secours, travailler et coopérer aux desseins de Monsieur, car l’empire leur tient au cœur et ils s’en jugent forclos. Si nous espérons là, ou un échec tel ou quel aux affaires du Roi leur découvrirait le roi de Suède, lequel ils auraient réduit en peu de temps, ou à un accommodement à nos dépends, ou à une retraite, s’ils pouvaient lui mettre leurs forces entières à tête et à dos, ils prétendent avoir encore quelques forces du côté de Brissac [Brisach], et que Haraucourt retournera à eux. 

Voilà ce que j’ai pu apprendre à mon arrivée. J’envoie de tous côtés pour être plus savant et vous en donner avis, comme je ferai, et servirai fidèlement en tout ce que je pourrai. Je vous écris ces lignes avec peine à cause d’une défluxion qui m’est tombée sur les bras. Votre maladie a fort encouragé les ennemis, mais je publie partout votre santé et celle du Roi, pour lesquelles je prie Dieu de tout mon cœur et qu’il donne meilleurs conseils à Monsieur et pour lui et pour la France, étant à vivre et mourir, Monseigneur, votre très humble, très fidèle et très obéissant serviteur, 

Abaréa

Ce 9 juin 1632, au soir

1. Le duc d’Orléans arrive à Nancy le 7 juin, il vient de Trèves où ses troupes étaient rassemblées. [↩]
2. Les maréchaux de La Force et d’Effiat ont déjà reçu l’ordre de se diriger vers Trèves. Dès le 30 mai, ils occupent Saint-Wendel. [↩]
3. François de Lorraine-Vaudémont et le duc Charles IV  [↩]

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