Le lieutenant civil Michel Moreau à Richelieu, [Paris], vers le 18-20 juin 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 802, f^° 227. Le texte original a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 277-278.

Monseigneur,

J’ai envoyé quérir aujourd’hui un religieux augustin, nommé père André Boulanger, sur l’avis que j’eus hier que, prêchant l’après-dînée, au couvent des augustins du faubourg Saint-Germain, expliquant ce verset d’un psaume de David « Nolite confident in principibus aeque in filiis hominum », et voulant montrer le peu d’attachement que nous devions avoir en terre, il se laissa emporter de dire que les rois faisaient la guerre aux rois, les frères aux frères, selon que leurs intérêts les y poussaient. Et puis, en un autre endroit, après avoir élevé la justice et la bonté du Roi, il dit que l’on disait que nous avions été battus, mais qu’il ne le fallait pas croire. Et lui remontrer, en présence de son supérieur, comme il était important pour le service du Roi qu’ils ne se mêlassent que de prêcher simplement leur évangile sans parler des affaires en façon quelconque, s’ils n’en avaient exprès commandement du Roi.  Et menacer, s’il y retournait, d’en avertir Sa Majesté.

Il s’est fort excusé sur le peu d’intention qu’il avait eu de dire ces choses qui lui étaient échappées par la chaleur de la chaire, sans dessein, et m’a promis d’y prendre garde à l’avenir, en sorte que cela ne lui arrivera plus, et assure de sa fidélité, de laquelle ni le Roi, ni Votre Éminence ne doutiez point. Je ne lairre pas de le faire veiller et prendre garde à ses actions, comme à celles de tous ceux qui parlent en public, vu le préjudice et le mal qu’ils peuvent faire, bien souvent [par] manque de jugement et sans intention de mal faire.

Il y a ici un homme nommé <…> qui loge dans l’université, près Saint-Nicaise, « À la Robe d’Or », qui est Suédois, luthérien et ministre du roi de Suède. Ainsi portent les adresses des lettres qui lui sont envoyées. L’on m’a donné avis qu’il prêche en cachette le luthérianisme dans Paris. J’y ferai prendre garde pour vous en donner compte et recevoir l’ordre que vous me prescrirez que j’aurai à tenir, craignant de les manquer, si je l’arrêtais, en cas qu’il fût trouvé dogmatisant étant à un prince duquel le Roi fait estime.

L’on a voulu faire courir la requête du cardinal [Gaspar] Borgia, présentée à Sa Sainteté [le pape Urbain VIII] tendant à faire excommunier les princes qui donnent secours au roi de Suède, avec quelques vers faits contre le Pape. J’ai arrêté l’original que l’on voulait faire imprimer comme très préjudiciable au service du Roi¹.

M. le Prince [de Condé] a désiré de faire voir le discours qu’il avait fait aux États de Bretagne, qui a été reçu avec applaudissement, et du même esprit que l’on parle des affaires du Roi avec <…> et soumission et le sentiment deus à vos soins. C’est au vrai le compte que vous en peut donner celui de tous les hommes qui se tient le plus obligé d’être, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur, 

Moreau

1. Au printemps 1632, en effet, durant le consistoire du 8 mars, le cardinal Gaspar Borgia, ambassadeur du roi Philippe IV d’Espagne à la cour pontificale, a dénoncé le traité de Bärwald et les accords unissant Louis XIII et le roi Gustave-Adolphe et lu un mémoire sur les forces en présence dans le Saint Empire, rédigé par Roberto Ubaldini. Le cardinal Borgia a réclamé l’excommunication des princes catholiques ayant accordé un secours militaire au roi de Suède. Urbain VIII, outré de l’insolence du personnage et de son outrecuidance, a chassé Gaspar Borgia de Rome. Le 20 avril, Richelieu a adressé une lettre de soutien au souverain pontife^, accusé par la faction espagnole d’être le seul responsable, par son manque de fermeté, de l’affaiblissement de la catholicité : dans Denis-Louis-Martial Avenel, Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du cardinal de Richelieu, Paris, Imprimerie Nationale, 1853-1877, en 8 volumes, Collection des documents inédits de l’histoire de France, t. IV, p. 284. Afin de se garantir un appui plus efficient dans l’entourage d’Urbain VIII, Louis XIII envisage, à partir de l’automne 1633, et peut-être à la suggestion de Mazarin, de s’assurer la comprotection de France par le cardinal Antoine Barberini en remplacement du cardinal de Savoie. Puis dans les instructions qu’il fournit au comte de Noailles avant son départ à Rome, au mois de janvier 1634, Richelieu recommande à l’ambassadeur du Roi de se méfier d’Ubaldini, longtemps pensionné par la France. Voir Olivier Poncet, La France et le pouvoir pontifical – 1595-1661 – : l’esprit des institutions, Rome, École française de Rome, 2011, p. 387 ; 264 ; 796. [↩]

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