Né vers 1593, dans le Bugey, Jean-Baptiste Carré est destiné de bonne heure à l’état ecclésiastique. En 1613, il intègre l’ordre des dominicains, au couvent de Toulouse, où séjourne à la même époque le premier réformateur de l’ordre, Sébastien Michaelis. Maître des novices au couvent d’Avignon, directeur des sœurs de Sainte-Praxède, il est promu prieur du couvent de l’Annonciation de Saint-Honoré, à Paris, en 1628, puis y exerce la charge de maître des novices pendant de nombreuses années.

Bénéficiant d’une exceptionnelle réputation de sainteté, c’est à lui que Marie de Médicis confie les prières pour le siège de La Rochelle. Le père Carré est également à l’origine du bref pontifical faisant obligation aux novices dominicains de se former dans les couvents d’étroite observance. Il est surtout le membre de l’ordre le plus commissionné par le maître général, Nicolas Ridolfi, pour la réforme des établissements. En 1631, il visite le couvent de Chartres et réforme l’observance régulière qui y a été introduite. Il est rapidement institué vicaire de l’institution par Ridolfi, malgré le droit d’élection dont disposent les religieux, et le droit de collation du roi de France. L’autorité de Nicolas Ridolfi est mise à mal par certains couvents qui refusent de se soumettre à la réforme qu’il promeut par l’intermédiaire de Jean-Baptiste Carré. Les chapitres généraux, tenant du gallicanisme, opposent l’autorité de leurs supérieurs à celle du maître général. Pour l’historienne Ninon Maillard, à l’inverse, « c’est certainement […] la conjonction des volontés du pape, du roi de France et des autorités centrales de l’ordre en faveur du retour à l’observance qui permet au maître général de trouver les appuis nécessaires pour contrer l’opposition de ses propres religieux et continuer de gouverner les couvents de France »¹. Au service de Nicolas Ridolfi et de Richelieu, Jean-Baptiste Carré se heurte à l’opposition de certains religieux, dont ceux de Rouen constituent les exemples typiques. Les réguliers de la ville sont, de surcroît, en conflit avec l’archevêque, François II de Harlay. Le 28 janvier 1634, Richelieu, par l’intermédiaire de M. de Champvallon, frère du prélat, le rappelle à l’ordre et le menace même d’une saisie de temporel². 

Si le dominicain a tout mis en œuvre pour la sauvegarde des intérêts de l’ordre et de Ridolfi, il s’est aussi secrètement lié à Richelieu. Entre 1631 et 1637, Ridolfi charge le père Carré de transmettre à Richelieu des propositions pour imposer la paix en Europe. Le cardinal s’en irrite et ne laisse aucun pouvoir décisionnaire aux frères prêcheurs³. Jean-Baptiste Carré semble être, avant tout, l’instrument du maître général et plus occasionnellement celui de Richelieu, avec qui il entretient une discrète correspondance. Le père Carré fournit le relais des prédicateurs dominicains comme soutien à la politique du gouvernement⁴. Il s’entremet également lorsqu’il s’agit d’empêcher la promotion dans les ordres de personnalités hostiles au gouvernement, comme Marie de Lévis-Ventadour à Prouihle, près de Mirepoix, en 1633. En 1635, le père Carré transmet régulièrement à Richelieu les lettres que lui a adressées le père Bréan [ou Bréant], l’un de ses informateurs⁵. 

Sa responsabilité dans l’entrée dans les ordres de Louise Angélique de La Fayette, dont il est le confesseur, ainsi que ses maladresses, entraînent une disgrâce partielle en 1636. Le père Carré continue pourtant par la suite à transmettre ses rapports au cardinal-ministre, et l’informe, en particulier, dès novembre 1636, des émeutes qui agitent la ville de Lisbonne et qui aboutissent, en 1640, à la sécession du Portugal et à l’avènement de Jean IV de Bragance⁶. Le père Carré réforme encore un couvent en Bourgogne en 1641, et celui de Caen en 1645.

Textes 214, 335, 336, 876, 

Marie-Catherine Vignal Souleyreau

Docteur en Histoire, ingénieur d'études à Sorbonne Université, Faculté des Lettres, Institut de Recherche sur les Civilisations de l'Occident Moderne (IRCOM - Centre Roland Mousnier)

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1. Ninon Maillard, « Les conditions d’exercice de l’autorité du maître général de l’ordre des frères prêcheurs : le cas des provinces françaises au XVII^e siècle », dans Jean-François Cottier, Daniel-Odon Hurel, Benoît-Michel Tock (dir.), Les personnes d’autorité en milieu régulier (des origines de la vie régulière au XVIII^e siècle), actes du 7^e colloque international du CERCOR (18-20 juin 2009) tenu à Strasbourg, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2012, p. 175-187. [↩]
2. La lettre du 28 janvier 1634 est expédiée de Rueil, elle a été extraite d’une histoire des affaires du temps par Denis-Louis-Martial Avenel, Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du cardinal de Richelieu, Paris, Imprimerie Nationale, 1853-1877, en 8 volumes, Collection des documents inédits de l’histoire de France, t. IV, p. 522 : « J’ai envoyé quérir Monsieur de Champvallon, votre frère, pour conférer avec lui sur ce sujet et voir les remèdes qu’il faut apporter aux fâcheux événements qui pourraient être causés par ces mauvaises interprétations. J’ai été très aise d’avoir appris que vous avez sursis certaines ordonnances que vous avez faites dont la nouveauté a donné sujet à beaucoup de gens de parler. Je répondrai toujours de vos intentions, et, vous aimant comme je fais, je désirerais bien plutôt que votre prudence remédiât aux maux dont on pourrait vous imputer la cause, que d’attendre qu’on y mette l’ordre d’ailleurs. Il n’est pas à propos, ni pour vous ni pour la religion, que vous vous gouverniez en sorte que quelques-uns ne puissent croire que vous preniez à tâche les religieux dont le secours est utile à l’église, comme il est juste qu’ils rendent à Messieurs les prélats ce qu’ils leur doivent. La raison et leur charité les doit aussi porter à les traiter favorablement. Ce sujet est si important que, sans me servir du style dont j’use quelques fois avec votre cher frère, je finis vous assurant sérieusement de mon affection, afin que vous sachiez en toutes sortes et façons d’écrire que, pratiquant ceux qui n’ignorent pas ce que c’est que la cour, que je suis véritablement, Monsieur, votre très affectionné confrère, le cardinal de Richelieu. De Ruel, ce 28 janvier. » [↩]
3. Ninon Maillard, Droit, réforme et organisation nationale d’un ordre religieux en France : le cas de l’Ordre des Frères Prêcheurs, 1626-1660, thèse de doctorat de droit, dir. Pr. J. Poumarède, soutenue à l’université de Toulouse I, octobre 2005, p. 639 note 1794. [↩]
4. Ninon Maillard consacre d’importants développements aux rôles religieux et politique de Jean-Baptiste Carré dans sa thèse, Droit, réforme et organisation nationale d’un ordre religieux en France : le cas de l’Ordre des Frères Prêcheurs (1629-1660), thèse citée, p. 72, p. 635-643 notamment. [↩]
5. Le père Bréan écrit au père Carré, le 3 mars, l’original autographe est conservé au Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 813, f° 104-105 ; le 17 mars, l’original autographe est conservé au Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 813, f° 166 ; le 24 mars 1635, l’original est conservé au Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 813, f° 193-194 ; et le 30 mars, la lettre a été publiée par Marie-Catherine Vignal Souleyreau, “La raison de guerre” : correspondance du cardinal de Richelieu, année 1635, Paris, éditions L’Harmattan, 2016, p. 182-186. [↩]
6. P. Brito, Le rôle de Richelieu dans les révoltes portugaises (1637-1641), ses intermédiaires, mémoire de maîtrise d’histoire moderne, soutenu en septembre 1996 à l’université de Paris-Sorbonne – Paris IV -, sous la direction du P^r Jean Bérenger et de Jean-Paul Le Flem, p. 35-36 ; Jean Bérenger, « Les services de renseignement de Richelieu et la révolution portugaise de 1640 », dans Anne-Marie Cocula et Josette Pontet, dir., Itinéraires spirituels, enjeux matériels en Europe : mélanges offerts à Philippe Loupès, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2005, tome 1, p. 321-336. [↩]