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Texte 860, année 1633, 30 juillet, Henri d’Escoubleau de Sourdis à Richelieu

L’archevêque de Bordeaux à Richelieu, de la ville de Richelieu, 30 juillet 1633.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 809, f° 131-132. L’original a été publiée dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), Richelieu à la conquête de la Lorraine. Correspondance : 1633, Paris, éditions L’Harmattan, 2010, p. 338-342.

Cette lettre d’Henri d’Escoubleau de Sourdis prend la suite du mémoire qu’il a rédigé le 24 mai 1633 (translation publiée en ligne, texte 858) et de sa missive du 12 juillet suivant (translation publiée en ligne, texte 859).

En 1621, Richelieu a acquis, à titre personnel, le domaine de Richelieu. Désireux de rendre l’hommage le plus prestigieux possible à la lignée dont il est l’héritier, il a entrepris la rénovation du château dès son arrivée au pouvoir en 1624, puis a demandé à l’architecte Jacques Lemercier, par ailleurs chargé de la rénovation de la Sorbonne, de concevoir un nouveau château, ainsi qu’une ville nouvelle. L’issue de la journée des Dupes a certainement renforcé la détermination du cardinal à voir aboutir ses ambitions. En 1631, au moment où la terre de Richelieu est érigée en duché-pairie, le cardinal-ministre a obtenu l’autorisation officielle du Roi de bâtir un « bourg clos de murailles et de fossés », et de faire tenir dans la ville nouvelle quatre foires annuelles et deux marchés par semaine. Les travaux de construction démarrent aussitôt, sur les plans de Jacques Lemercier, et selon un devis-type fourni par les entrepreneurs Jean Thiriot et Jean Barlet. Ceinte de murs et de douves, la ville bénéficie de trois portes monumentales, auxquelles s’ajoute une porte factice pour respecter la symétrie de l’ensemble. Le plan urbain s’articule autour de deux places : la place Royale (actuelle place des Religieuses) et la place du Cardinal (actuelle place du Marché) autour de laquelle sont érigés le presbytère, l’auditoire (actuelle mairie), la halle couverte et les commerces. Le gros œuvre de la ville est réalisé par l’entrepreneur en maçonnerie Jean Barlet, successeur de Jean Thiriot, qui emploie, avec trois autres entrepreneurs, Nicolas Durand, neveu du même Jean Thiriot, Jean Lamoureux, et Gilles Barthélemy, près de 2.000 ouvriers. Les travaux du château proprement dit sont directement supervisés par Jacques Lemercier, tandis que ses frères Nicolas et Pierre s’occupent de la ville. C’est ce dernier qui conçoit le plan de l’église dédiée à Notre-Dame de l’Assomption. En 1633, le château est achevé et son parc commence à être aménagé. Jacques Lemercier fait également ériger l’église de la ville dont la particularité, comme la chapelle de la Sorbonne, réside dans son inspiration italienne. Un ingénieux système de vente en l’état futur d’achèvement est mis en place pour les pavillons qui doivent border la Grande Rue. Le 11 février 1633, en effet, Richelieu signe vingt contrats de donation de parcelles foncières le long de la Grande Rue, qui en comporte 28 en tout, 14 de chaque côté, les donataires s’engageant à bâtir une maison dans les deux ans selon le devis-type et le modèle de Jean Barlet¹. D’autres donations suivent le 14 mars et le 12 novembre 1633, puis les 10 février et 23 juillet 1634, enfin le 17 mars 1636. Certaines bâtisses sont érigées grâce au financement assuré par Alphonse de Lopez, qui n’a plus qu’à obtenir le remboursement du prêt qu’il a consenti à Richelieu.

Une première liste de bénéficiaires, dont certains ne peuvent, cependant, assumer la construction d’une maison, peut s’établir ainsi :

Léon Bouthillier de Chavigny² ;
Alphonse de Lopez lui-même³ ;
les banquiers Nicolas Rambouillet et Marc-Antoine Acéré, bénéficiaires de la donation du 11 février 1633, ils ne construisent pas. Le terrain est offert, le 23 juillet 1634, à Charles de Brussel, sieur de Vaillecomte⁴ ;
le médecin François Citoys⁵ ;
son frère Antoine Citoys, sénéchal de la seigneurie de Richelieu, qui ne construit pas ;
le secrétaire de Richelieu, Michel Le Masle, prieur des Roches⁶ ;
l’intendant Michel Particelli d’Hémery⁷ ;
Charles Duret de Chevry, président en la chambre des Comptes, intendant puis contrôleur des finances⁸ ;
Claude de Mallier, sieur du Houssay, intendant et conseiller général des finances⁹ ;
Gaspard de Fieubet, trésorier de l’épargne¹⁰ ;
Gabriel de Guénégaud, seigneur du Plessis-Belleville, « Garnier Guénégaud », selon Roland Mousnier¹¹, trésorier de l’épargne¹² ;
Étienne Jappin, sieur des Marches, trésorier général de l’artillerie¹³ ;
Macé Bertrand, sieur de La Bazinière et de Clichy-la-Garenne, trésorier de l’épargne¹⁴ ;
Thomas Morant (ou Morrant), baron du Mesnil-Garnier, auquel succède Claude Bouthillier comme grand trésorier des ordres du Roi¹⁵ ;
Louis Le Barbier, l’un des traitants les plus importants de cette époque¹⁶ ;
Étienne Bryois, seigneur de Bagnolles, traitant¹⁷ ;
Claude Le Ragois, seigneur de Bretonvilliers, secrétaire du Conseil du Roi¹⁸ ;
un terrain est attribué à Jean Fayet, trésorier de France, général des finances en la généralité d’Auvergne, le 12 novembre 1633, et transmis à Jean Galland et Jean Lepec, conseillers et secrétaires du Roi¹⁹ ;
Germain Rolland, traitant²⁰ ;
un terrain pour le n° 23 de la Grande Rue, est attribué à Jacques de Vassan, trésorier des parties casuelles et deniers extraordinaires, le 12 novembre 1633, ou à Claude Cornuel, sieur de La Marche, le 21 novembre 1633²¹ ;
Jacques Bordier, intendant des Maison et Finances de la Reine²² ;
Guillaume de Bordeaux, receveur général des finances de Tours ²³ ;
Arnould de Nouveau, surintendant général des postes ((Voir Michel Carmona, Les diables de Loudun : sorcellerie et politique sous Richelieu, Paris, Fayard, 1988, p. 152.)) ;
François Lecœur, procureur du duché-pairie de Richelieu, qui ne construit pas ;
Thomas Bonneau, seigneur de Valmer et de Pocé (fils de Thomas Bonneau, sieur du Plessis, conseiller et secrétaire du Roi), secrétaire du Roi, financier de la ferme générale des gabelles en 1632²⁴ ;
Jean Thiriot et son neveu Nicolas Durand, sont récompensés eux aussi²⁵.

Le déroulement du processus montre assez la volonté de Richelieu de peupler rapidement sa cité, malgré la peste qui sévit dans la région. Le signataire rend compte ici de la pose des charpentes des maisons de la Grande Rue. Il donne un détail précis de l’avancement de la ville : les fondations du mur d’enceinte ; celles de l’église ; celles de la halle, achevée en 1638, dont la charpente, très peu restaurée, subsiste aujourd’hui en état de conservation exceptionnelle ; celles de l’auditoire ; et les fondations du tripot. Il évoque également les acquisitions foncières du cardinal et achève sa missive en apportant de précieuses indications sur la décoration intérieure du château et en suggérant des aménagements pour le parc. Richelieu lui répond dans un courrier daté par Denis-Louis-Martial Avenel du début du mois d’août²⁶.

Concernant la ville qu’il fait ériger, il est vraisemblable qu’il ait voulu suivre l’exemple du duc de Sully, qui a reconstruit le château de Rosny et fait ériger la ville d’Henrichemont à sa gloire. Le cardinal, devenu principal ministre, souhaitait probablement éclipser un potentat trop puissant à son goût, rival politique direct pour le contrôle de la région, mais aussi rival protestant. De même, pour assurer le développement de la ville et lui garantir une certaine puissance administrative, il exempte les habitants d’impôts. Si la ville de Richelieu est rattachée à la sénéchaussée de Saumur, il est révélateur que le cardinal transfert en ses murs non seulement le grenier à sel de Loudun, en pleine affaire Urbain Grandier, mais aussi le siège de l’élection de Mirebeau et le siège de justice de Faye-la-Vineuse. Par ailleurs, soucieux de qualité dans la direction spirituelle de la ville, il signe un contrat avec saint Vincent de Paul pour l’implantation dans la paroisse de sept lazaristes et de deux représentantes de la Compagnie des filles de la Charité que le religieux fonde en 1633. Il est à noter que la Congrégation de la Mission disposait de ses propres séminaires. Richelieu se dote ainsi d’une structure éducative de qualité pour les petits garçons comme pour les petites filles, et de l’assurance d’un niveau intellectuel suffisant pour le clergé séculier qu’il implante. Les filles de la Charité étaient également vouées au service des malades et des plus pauvres. Les religieux envoyés par saint Vincent de Paul sont dotés d’un cloître, tout proche de l’église de Richelieu.

Richelieu répond quelques jours plus tard à l’archevêque de Bordeaux : voir la transcription du document original dans Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du cardinal de Richelieu, Paris, Imprimerie Nationale, 1853-1877, en 8 volumes, Collection des documents inédits de l’histoire de France, tome IV, p. 474-478, translation publiée en ligne, texte 861.

Monseigneur,

Ayant su que les grands bois de la terre de Monts se vendaient, je les ai faits arrêtés sous-main. Et sur la promesse que La Rochegenty m’a faite de donner autant de ferme de la terre que de celle de La Chapelle, j’ai fait offrir IIII^XX mille écus. Si je ne conclus l’affaire à ce point-là, je ferai planter des piliers partout.

Je n’estime pas que vous vouliez donner l’année qui vient votre duché à recevoir aux sieurs de Rambouillet et Acéré. Elle ne consiste qu’en 20 petites fermes, dont il faut faire une ferme générale et la bailler à un fermier qui vous payera à deux termes. La Rochegenty serait bien homme à l’entreprendre, il est fort accommodé pour le faire.

J’ai trouvé le prêche établi à L’Île-Bouchard en vertu d’un acte de consentement fait par le sieur de Silly, se disant avoir charge de vous. Mais comme il n’y a point été établi par les commissaires généraux, que le lieu n’est point un bailliage, qu’il n’y a point d’habitants de la religion, et que le prêche ne s’y est jamais fait qu’en une chapelle par souffrance et considération d’un particulier seulement, c’est-à-dire du seigneur, j’ai désavoué de votre part le sieur de Silly et fait faire les défenses par votre juge de ne plus faire d’assemblées pour l’exercice de la religion, sur les peines portées par l’ordonnance dudit juge, à quoi on a obéi²⁷.

Les maisons de la grande rue de la ville sont merveilleusement avancées. C’est la plus belle chose du monde à voir. On commence de poser la charpente à la plupart. Néanmoins, il y a quelques-uns de ces messieurs les bâtisseurs qui négligent d’y envoyer de l’argent. S’il vous plait d’écrire un mot de lettre au seigneur Lopès [Alphonse de Lopez] pour faire hâter le paiement, cela viendra bien à propos pour ce que l’on est prêt de couvrir. Il manque encore cinq maisons pour achever ceste grande rue, si vous pouvez obliger quelques-uns de-delà à les bâtir, vous ferez beaucoup pour ce que d’espérer quelque chose des gens de ce pays, ce serait en vain. Ils sont si gueux qu’ils n’ont pas moyen de faire faire un pigeonnier. Le sénéchal [Antoine Citoys] est si pauvre qu’il ne peut bâtir sa maison sans se ruiner. Le procureur [François Lecœur] est tout de même. Mangot²⁸ demande huit mois pour venir résider ici et deux ans pour faire faire une maison de 3 à 4000 livres. Si vous agréez ces conditions, vous m’ordonnerez ce que j’aurai à faire et je lui donnerai ses provisions²⁹. On travaille aux fondations de la clôture de la ville, de l’église, la halle et l’auditoire et au tripot que je vais faire commencer.

Il faut que le sieur [Julius] de Loynes fasse avancer les L mille livres destinez pour tous ces ouvrages, que l’on ne veut payer qu’à la fin de l’année, et prendre plus tôt sur cette somme l’intérêt pour l’avancer. Je lui en écris au long. Il vous plaira d’y ajouter un mot de commandement. L’on ne peut être payé des assignations sur le sieur de Lauson, lequel doit six-vingt-<une> de mille livres pour les garnisons et remboursement des avances des fortifications. On le poursuit à toute reste et j’envoie encore le sieur [André] Céberet à Poitiers pour solliciter de votre part. Il serait à propos que vous en disiez un mot à Messieurs les surintendants [Claude de Bullion et Claude Bouthillier]. J’envoie les pièces et écris au long au sieur de Loynes.

Nous sortirons de votre château cette année, où il y aura bien du malheur, pourvu que la peste ne nous en empêche point. Le parc ne s’achèvera pas cette année. Il n’y en aura que les deux tiers avec les portaux [que] ce pavillon vous faits, et l’autre tiers ne sera que de six pieds de haut.

Le vaisseau de Casenac a pris ces jours derniers le vaisseau du capitaine Bourguis, du port de 100 tonneaux, lequel volait dans la rivière de Nantes et allait porter vendre les marchandises en Angleterre. Si l’on me croit, l’on en fera meilleure justice que des Biscayens.

L’arpenteur de La Borde vous va trouver, lequel veut entreprendre un ouvrage qu’il faut 6 ou 7 ans pour exécuter et mille ou douze cents écus de dépense par an. C’est pour arpenter tout votre duché. Je n’en vois pas l’utilité, néanmoins si vous l’ordonnez, cela sera fait. J’ai voulu marchander avec lui en bloc, mais il ne veut point venir à prix.

Nous sommes après le dessein des peintures de votre galerie. J’écris au sieur Lemercier pour en avoir son avis pour ce qu’il me fâche de voir ici le sieur Prévost employé à des badineries. Je serais bien aise de l’employer à ce grand dessein, mais il est important de savoir particulièrement comme vous désirer que le plafond soit fait, et surtout de quels sujets vous voulez les tableaux, pour ce que les murailles étant ornées des plus beaux sièges et actions de guerre qui se sont faites de votre temps, il semble qu’on ne peut faire les tableaux du plafond que de triomphes de guerre de renommée et de déités martiales pour que cela réponde au reste. Vous ordonnerez, s’il vous plait, ce que vous désirerez. Cet ouvrage demande pour le moins dix-huit mois de temps pour en voir la fin.

Madame la maréchale de Brézé commence à se mieux porter, elle se lève et avec l’aide d’un homme qui la soutient, elle se promène par la chambre. On espère qu’elle pourra se promener dehors dans peu de jours. Elle a plus d’inclination de venir à L’Île-Bouchard qu’à Saumur à cause du bruit des cloches de Saumur.

Le pauvre Bernard est ici fort nécessiteux. Il aurait bon besoin de votre assistance, s’il plaisait à votre bonté lui faire continuer seulement ses gages sa vie durant, ce serait une œuvre digne de votre charité et piété, car il en a grand besoin.

L’on travaille à baisser votre canal et hausser vos prés, l’on fait votre fruitier et l’on plante les allées de votre parc. J’espère que vous aurez, l’année qui vient, du plaisir de votre maison et que vous y pourrez recevoir le Roi et tous ceux qu’il vous plaira d’y amener. S’il vous plait qu’on abatte les bois de la largeur nécessaire pour faire votre anti-court, cela embellira infiniment l’avenue de votre maison et nous vendrons bien les bois pour avoir des pilotis pour la ville que nous trouvons rarement. C’est, Monseigneur, votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur,

Sourdis, archevêque de Bordeaux

À Richelieu, ce 30^e juillet 1633

J’oserai vous dire, Monseigneur, que tous ceux qui viennent ici sont d’avis qu’il faut nécessairement abattre les bois qui sont à l’entrée de votre maison pour ce que la chaleur une fois enfermée (qui n’a point de lieu ni d’ouverture par où le vent puisse entrer pour rafraîchir) est si extrême qu’on étouffe, si bien qu’outre la nécessité qu’on a du bois qui viendra de cette coupe, le plus tôt qu’on les pourra abattre sera le mieux.

Voir aussi Marie-Pierre Terrien, Richelieu : histoire d’une cité idéale (1631-2011), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011 ;

Collectif, Richelieu à Richelieu, Milan, Silvana Editoriale, 2011 ;

Marie-Pierre Terrien, La cité idéale et le château de Richelieu : un programme architectural savant. Tours : Conseil général d’Indre-et-Loire, 2003.

Marie-Catherine Vignal Souleyreau

Docteur en Histoire, ingénieur d'études à Sorbonne Université, Faculté des Lettres, Institut de Recherche sur les Civilisations de l'Occident Moderne (IRCOM - Centre Roland Mousnier)

Correspondance et papiers d'État du cardinal de Richelieu

Publication de la correspondance et des papiers d'État du cardinal de Richelieu, translation des textes originaux pour la période 1610-1642

Texte 860, année 1633, 30 juillet, Henri d’Escoubleau de Sourdis à Richelieu

Marie-Catherine Vignal Souleyreau

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