Richelieu à Léon Bouthillier, comte de Chavigny, Château-Thierry, 22 mai 1635.

Le document original est conservé au Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 245, f° 113-114. La transcription en a été publiée dans Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du cardinal de Richelieu, Paris, Imprimerie Nationale, 1853-1877, en 8 volumes, Collection des documents inédits de l’histoire de France, t. V, p. 13-15.

Concernant le passage du duc d’Orléans dans la ville de Richelieu, voir aussi le courrier que le comte de Chavigny adresse à Richelieu, de Blois, le 28 mai, translation publiée en ligne, texte 864.

À Monsieur Bouthillier, conseiller du Roi en ses Conseils, secrétaire de ses commandements et chancelier de Monsieur [le duc d’Orléans]

22 mai 1635

Monsieur,

J’ai été très aise d’apprendre par vos lettres le bon état où vous mandez qu’est l’esprit de Monsieur. Vous savez bien que vous et moi n’avons jamais douté au fait de son voyage lorsque les soupçons semblaient plus échauffés. Cela n’empêche pas que je ne condamne son inquiétude quand elle lui fait faire des choses qui peuvent être mal interprétées. Mais j’oserais répondre que cela n’arrivera pas.

Le roi se porte fort bien, grâce à Dieu ; il n’a pas fallu peu disputer contre lui pour emporter qu’il n’allât point à l’armée. Enfin après une bonne querelle, qui est maintenant passée, il a condescendu aux supplications de ses serviteurs.

Je ne vous mande point de nouvelles, suivant la coutume en laquelle je suis de n’en écrire jamais ; joint que je craindrais que le sieur de Beauharnais¹ et le petit Antilabarde [Jean II de La Barde] eussent occasion de se plaindre de moi si j’entreprenais sur leur charge.

Je me loue fort de Monsieur d’avoir voulu aller à Richelieu ; mais je me plains de ce que votre jeunesse ne s’y est pas opposée, et qu’elle ne l’a pas empêché de visiter un lieu indique de lui. Si j’eusse prévu cet honneur, j’eusse abattu tout ce qui reste des bâtiments de mes prédécesseurs pour y faire une salle capable de le recevoir. Il y en a bien de proportionnée à la portée d’un gentilhomme, mais non pas de celle d’un si grand prince. Les Césars seuls qui y sont peuvent être dignes de lui, je les lui offre de bon cœur.

Je vous prie me mander s’il est vrai qu’il ne jure plus, comme m’a dit Monsieur [Guy] d’Elbène. Si cela est, le voyage de Loudun lui aura beaucoup profité ; et, en vérité, je m’en réjouis grandement. Je vous souhaite quelques fois ici et souvent.

Vous ne me mandez point que vous avez été à Chavigny. La guerre nous occupe tellement que je renonce en mon particulier de bon cœur aux bâtiments. Cependant je vous prie de croire qu’en quelque temps, et en quelque lieu et quelque occupation que nous soyons, rien ne me fera perdre la mémoire de la jeunesse, ni l’affection que je porte aux drôles², et qu’en votre particulier je suis et serai toujours, Monsieur, votre très affectionné à vous rendre service,

Le cardinal de Richelieu

De Château-Thierry, ce 22 mai 1635

1. Denis-Louis-Martial Avenel précise en note du texte qu’il a établi que la famille de Beauharnais est apparentée à celle de Claude Mangot, ancien garde des sceaux. Il s’agit ici plutôt de Jean II de Beauharnais, que de son père, François II de Beauharnais, lieutenant général du Roi au bailliage d’Orléans, ou de son frère aîné, François III de Beauharnais. [↩]
2. En référence aux enfants du comte de Chavigny. [↩]

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