Léon Bouthillier, comte de Chavigny, à Richelieu, Blois, 28 mai 1635.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 814, f° 125-126. Le texte original a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), “La raison de guerre” : correspondance du cardinal de Richelieu, année 1635, Paris, éditions L’Harmattan, 2016, p. 276-278. 

Il s’agit de la réponse du comte de Chavigny à un courrier que lui a adressé Richelieu, de Château-Thierry, le 22 mai, translation publiée en ligne, texte 863. Le signataire est de retour de Loudun et de la ville de Richelieu, où il a accompagné le duc d’Orléans. Voir aussi le texte 857.

Monseigneur,

Puisque Monsieur envoie Monsieur des Ouches pour se réjouir avec le Roi et avec vous de la bonne santé de Sa Majesté et de la défaite du prince Thomas¹, vous trouverez bon s’il vous plaît que je prenne une part de la joie publique et que je vous témoigne combien j’en ressens de voir la continuation des prospérités des armes du Roi et la suite des bons et grands succès qu’ont toujours eu vos sages conseils. J’espère, Monseigneur, que Dieu ne se lassera point de les bénir et qu’ils vous produiront bientôt ou de nouvelles conquêtes ou une paix pour donner le repos à la France qu’il y a longtemps que vous lui souhaitez.

Pour répondre aux articles de la lettre dont il a plu à Votre Éminence de m’honorer, je vous dirai, Monseigneur, que le Roi peut s’assurer que Monsieur ne fera plus aucun voyage qui puisse être mal interprété et qu’il a été extrêmement fâché que le dernier qu’il a fait ait tant donné de soupçons qui pouvaient beaucoup préjudicier aux affaires de Sa Majesté. Il vous conjure, Monseigneur, d’en assurer le Roi et que rien n’est capable au monde de lui donner la moindre pensée de faire quelque chose contre ce qu’il doit.

Je ne me plains point, Monseigneur, que vous ne me mandiez point de nouvelles. Je me contente que vous les fassiez toutes bonnes et que le grand Beauharnais et le petit Antilabarde me les écrivent, ce dont ils s’acquittent fort soigneusement. 

Je n’ai point douté, Monseigneur, que vous ne fussiez fâché de ce que Monsieur avait été voir Richelieu et que vous ne m’accusassiez de ne m’y être pas opposé, mais vous devez avoir cette consolation qu’il en est demeuré extrêmement satisfait et qu’il y a trouvé de beautés qui ne sont en pas une maison qui soit en France. J’avoue, Monseigneur, qu’elles m’ont donné dans la vue et que lorsque tout sera achevé vous vous pourrez vanter d’avoir la plus grande maison qui soit dans l’Europe. Je n’excepte que Fontainebleau.

Je me réserve à vous entretenir des particularités quand j’aurai l’honneur d’être auprès de Votre Éminence. La Grande Rue de votre ville est toute bâtie, les maisons, sans mentir, en paraissent aussi belles que celles de la place Royale. Pour moi, je suis demeuré extrêmement satisfait de la mienne et je ne croyais pas qu’elles dussent être si belles pour le prix qu’elles coûtent.

Il est vrai, Monseigneur, que le voyage de Loudun a beaucoup corrigé Monsieur des serments qu’il faisait, mais il ne les lui a pas ôté tout à fait. Il y a cette différence du présent au passé qu’il jurait également de sang-froid et en colère, et à cette heure il ne jure plus que lorsque la passion l’emporte. Il a fait tout ce qu’il a pu pour me corrompre afin de vous assurer qu’il ne jurait plus du tout, mais j’ai fort bien résisté et je lui ai protesté que je ne vous déguiserais jamais rien.

J’avoue, Monseigneur, que Chavigny m’a extrêmement plu et que si mon père y fait la dépense que vous m’avez fait l’honneur de me dire plusieurs fois qu’il faut qu’il fasse, ce sera une très agréable maison². Je trouve qu’une de ses plus grandes beautés est de n’être qu’à trois lieues de Richelieu.

Monsieur s’est purgé depuis cinq ou six jours pour raffermir de plus en plus sa santé qui est très bonne, grâce à Dieu. Il alla hier au soir à la campagne coucher au premier village qu’il rencontra. Pour faire la guerre aux tireurs, il sera de retour aujourd’hui. Son Altesse m’a commandé de vous ressouvenir de sa part de l’offre que je lui ai faite de vos Césars de celle de Votre Éminence, il avoue qu’il n’a rien vu de plus beau que les statues de Richelieu, et que les siennes après celles-là lui font mal aux yeux.

Je finirai cette lettre, Monseigneur, par les remerciements très humbles que je fais à Votre Éminence des nouvelles assurances qu’il lui a plu de me donner de la continuation de son affection envers moi et par la protestation que je vous fais que vous n’en saurez honorer par une de vos créatures qui soit avec plus de zèle et de passion que je serai jusqu’au dernier jour par-delà la vie, Monseigneur, votre très humbles, très obéissant, très fidèle et très obligé serviteur,

Bouthillier

À Blois, ce 28 mai à neuf heures du matin 1635

1. En référence à la victoire des troupes françaises à Avein, le 20 mai 1635, au lendemain-même de la déclaration de guerre du roi de France au roi d’Espagne, sur les troupes du Cardinal-infant commandées par Thomas de Savoie. [↩]
2. Le château de Chavigny, longtemps laissé à l’abandon, se trouve sur l’actuelle commune de Lerné, aujourd’hui dans le département d’Indre-et-Loire, près de Chinon. Claude Bouthillier confie sa restauration à l’architecte Pierre Le Muet, à partir de 1636, comme il l’a fait pour son château de Pont-sur-Seine. [↩]

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