Charles de Fornier de Carles, seigneur de Pradines, à Richelieu, La Petite-Pierre, 24 juillet 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 804, f^° 285-288. Original autographe. Le texte original a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 352-354.

Monseigneur,

J’ai un très sanglant déplaisir d’être forcé de ne vous écrire que pour vous donner avis des malheureux accidents qui arrivent à Monseigneur le maréchal [d’Effiat]. Dans les voyages où j’ai l’honneur de le suivre et de le servir, lorsqu’il est en bonne santé, éloigné de vous, il vous tient si ponctuellement informé de ce qui se passe sur les affaires du Roi que vous lui confiez dedans et dehors l’État, que personne ne peut mieux vous en donner des avis que lui. Mais, à cette heure que je le vois attaqué d’une grande maladie, je crois être obligé d’en avertir Votre Éminence. 

Il y a aujourd’hui dix jours que Mondit Seigneur fut tout de jour à cheval pour aller reconnaître les avenues et fortifications de Saverne, ayant été à une mousquetade près de ladite ville, d’où il fut tiré quelques coups de fauconneaux et de mousquet. Et après avoir tout reconnu, il reprit le chemin de Fénétrange, qui était le quartier d’où il était parti, où il n’arriva que sur la minuit avec pluie et grand serein. Et se trouvant las, il se mit au lit, après avoir fait une légère collation. 

Le lendemain, qui était le vendredi 16^me de ce mois, l’armée partit de Fénétrange, pour venir prendre logement aux environs de ce lieu, où il voulut, le samedi, lui-même faire la revue et voir passer partie de l’armée, qui avait ordre de passer en ce détroit fort étroit, ayant demeuré presque tout le jour à cheval, avec des inquiétudes de ce que les ordres qu’il avait donnés pour ce passage n’avaient été suivis ainsi qu’il en avait donné le commandement, ce qui le fit revenir sur la nuit avec colère contre ceux qui avaient manqué à ses ordres, et, n’ayant voulu souper, se mit au lit. 

Le lendemain, dimanche dernier, il donna les ordres pour faire passer en ce détroit le reste de l’armée, et son mal l’ayant empêché de pouvoir se trouver à la revue du reste de l’infanterie, il m’envoie pour y assister, cependant que les troupes prenaient le chemin de Bouxwiller, du côté de Strasbourg. 

Et le lundi, ayant tenu le lit tout le jour avec fièvre, il me commanda d’aller faire la revue générale de la cavalerie, et de faire prêter le serment, ce que j’achevai le mercredi au soir près Bouxwiller, ainsi que Votre Éminence verra par les extraits que j’ai donnés à M. des Noyers. Et je me rendis le soir dudit jour près Mondit Seigneur.

L’ayant trouvé attaqué d’une fièvre double tierce réglée avec des redoublements, ce qui m’obligea d’écrire par le commandement de Mondit Seigneur à MM. d’Arpajon, de La Suze, des Noyers, de Moric et de Mortière de venir jusqu’ici pour prendre les ordres de ce qu’ils avaient à faire, et du chemin que l’armée devait tenir, parce que M. de Lisle, agent de Sa Majesté à Strasbourg, l’étant venu trouver, lui témoigna qu’il ne pouvait sans grande difficulté venir à bout des desseins qu’on avait de ce côté-là, l’assurant toutefois que le corps de ladite ville l’attendait avec impatience, pour le recevoir très honorablement dans une belle maison qu’on avait préparée. 

Mais nonobstant, la conférence qu’il eut avec ledit sieur de Lisle lui fit changer le dessein. Persuadé d’un autre côté des avis de M. de Charnacé, il quitta le chemin du Rhin, où il avait dessein de prendre des bateaux qu’on faisait descendre de Strasbourg, pour faire tourner tête à l’armée et lui faire reprendre le chemin des Deux-Ponts, Mondit Seigneur ayant donné [une] partie des troupes à M. le comte de La Suze pour marcher de ce côté-là, et à M. d’Arpajon l’autre partie pour aller du ôté droit tirant vers le Rhin, pour se rendre tous deux en même temps à Trèves.

Pour des raisons que M. des Noyers vous aura écrites, lesquelles sont, à ce que j’ai pu pénétrer, que l’électeur de Trèves n’ayant voulu se trouver au rendez-vous que Monseigneur le maréchal lui avait donné, il s’est opiniâtré qu’il voulait que cet abouchement se fit près de Trèves et qu’on commençât par cette place. Je crois que les dépêches de Messieurs les maréchaux de camp et de M. des Noyers vous apprendront les résolutions du conseil qu’ils tinrent hier avec Mondit Seigneur, qu’ils quittèrent à deux heures après-midi en tranquillité et en assez bon état. 

Mais la nuit passée n’a pas été suivie d’un même bonheur, car, étant la septième de sa maladie, il l’a passée avec des grandes inquiétudes et un grand assoupissement, après lequel les médecins ont reconnu tout son corps chargé de pourpre, et nous ont rapporté qu’il était en danger de sa vie, ce qui nous a obligés d’envoyer à Strasbourg pour faire venir un fameux médecin, que MM. Morel et Bitaut ont été d’avis d’appeler. Lesdits sieurs écrivent à M. Citoys tous les accidents, progrès et état de cette maladie, à quoi me rapportant je n’importunerai pas davantage Votre Éminence de ce malheureux discours, pour vous dire que Mondit Seigneur m’a commandé de vous donner avis qu’il est très nécessaire que vous disposiez en diligence de cette armée pour lui donner un homme d’ordre et de commandement qui la puisse retenir dans l’obéissance, ayant reconnu une grande division et jalousie entre Messieurs nos maréchaux de camp, lesquels M. des Noyers retient tant qu’il peut en intelligence, servant avec adresse et affection.

Nous espérons un amendement par des sueurs qui viennent de prendre Mondit Seigneur. Mais je crains que cette maladie soit longue comme les autres. C’est pourquoi je crois qu’il faut donner les ordres nécessaires pour empêcher cette armée de se dissiper, me sentant obligé de vous donner avis que la plupart des mestres de camp et capitaines de cavalerie menacent hautement de quitter, si la maladie de Mondit Seigneur dure encore huit jours. Vous protestant qu’après avoir fait la revue générale, je reconnus des personnes si faibles et si mal intentionnées de servir que je n’eusse jamais cru que, dans une affaire importante au service du Roi comme celle-ci, il se pût rencontrer des esprits si peu affectionnés au service de Sa Majesté. 

Si Dieu, par sa grâce et sa toute bonté, nous donne quelque amendement, je dépêcherai demain Mathieu de M. de Cherny¹. Mais Mondit Seigneur étant mortel, s’il plaisait à Sa Divine Majesté en disposer, Votre Éminence me permettra, s’il lui plaît, que lui fasse la même très humble supplication que je lui fis lorsque Mondit Seigneur se trouva à l’extrémité à Grenoble, de vouloir protéger M^me la maréchale [née Marie de Fourcy] et Messieurs ses enfants, en sauvant les charges et les gouvernements que Votre Éminence jugera pour le bien de la Maison². L’affection et tendresse que j’ai toujours reconnue en Mondit Seigneur pour tout ce qui vous touche me fait espérer que si ce malheur nous arrivait, vous protégerez ce qui restera de lui et de sa Maison, pour vous rendre les très humbles services qu’on doit à Votre Éminence avec toute la fidélité qu’elle pourra désirer. Pour moi, s’il plaisait à Dieu de disposer de mon bon maître, je continuerai de prier Dieu pour lui et pour la prospérité et santé de Votre Éminence, à laquelle je demeurerai toute ma vie, Monseigneur, votre très humble, très obéissant et très fidèle serviteur, 

Pradines

La Petite-Pierre, le 24^me juillet, à dix heures du matin.

1. Peut-être Charles Duret de Chevry. [↩]
2. Antoine Coëffier de Ruzé d’Effiat et Marie de Fourcy ont trois fils et deux filles : Martin Coëffier de Ruzé, marquis d’Effiat, né en 1612 ; Marie et Marie-Charlotte Coëffier de Ruzé d’Effiat, nées au début de l’année 1614 ; Henri Coëffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars, né en 1620 et exécuté en 1642 pour conjuration ; Jean Coëffier de Ruzé d’Effiat, né en 1622 et décédé en 1698. [↩]

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