François Sublet de Noyers à Richelieu, La Petite-Pierre, 26 juillet 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 804, f^° 293. Original autographe, dont la transcription a été publiée dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 355-356.

Monseigneur,

Celle que j’écrivis [il] y a trois jours à M. Bouthillier par l’ordre de Monseigneur le maréchal d’Effiat aura fait connaître à Votre Éminence l’état tant de sa santé que des affaires de-deçà. Depuis, celui de l’armée qui avance toujours vers Trèves est demeuré tel qu’il était pour lors. Mais celui de la santé de Mondit Seigneur a grandement empiré, non tant, toutefois, que l’on en doive désespérer, car le venin qui causait les mauvais accidents qui faisaient trembler les médecins étant sorti en abondance avec le pourpre qui couvre son corps, et la nature restant assez vigoureuse, il y a bien à espérer qu’elle résistera au mal et en aura enfin le dessus. Ce sont les vœux de toute l’armée, et très particulièrement de celui qui lui doit, après Votre Éminence, plus qu’à homme du monde.

J’ai été à Strasbourg avec M. de Morriq [Moricq], par commandement de Mondit Seigneur, pour tirer parti des lettres du Roi, et les faire bien payer de toutes les munitions de bouche qu’ils avaient fournies pour l’armée. Nous l’avons fait avec applaudissement, et leur avons distribué quelques médailles du Roi pour témoignage de l’affection de Sa Majesté envers eux. Ils les ont reçues avec de grandes marques de satisfaction. Mais je n’y vois rien à espérer davantage, quoi qu’en dise M. de Lisle. Ils sont républicains et fort amoureux de leur liberté, qu’ils croiraient blessée par le simple mot de protection. Les maçons, les boutiquiers, les peintres, les libraires n’ont que tableaux, figures, livres et manifestent en faveur du roi de Suède, et rien du Roi. L’armée et le pays ont été un peu étonnés de ce subit changement de route qu’ils nous voient prendre à présent. Ce sont effets de l’ignorance qui s’étonne de tout ce qu’elle n’entend pas, car nous ne doutons pas qu’il n’y ait eu et ordre et raison de le faire, puisque l’on l’a commandé. Il nous suffit d’obéir.

L’absence de Monseigneur le maréchal fait voir ce que vaut un grand homme comme lui dans une armée. Messieurs nos maréchaux de camp ne travaillent pas avec assez de correspondance. M. d’Arpajon, qui est l’ancien et qui paraît plus actif que M. le conte de La Suze, veut avoir le commandement. L’autre ne le consent, et ainsi, pour les faire vivre en paix, l’on a été contraint de faire deux corps de ces troupes, dont l’un ira à la droite et l’autre à la gauche, pour se rencontrer ensemble à une ou deux journées de Trèves, qui pourra être vers le IIII° ou V° du mois prochain au plus tard, si rien ne les arrête en chemin. Les troupes attendent la voiture avec impatience pour toucher la montre qui leur a été promise en partant du Pont-à-Mousson. Lorsqu’elle sera venue, j’espère que nous les tiendrons en devoir. Elles ne demandent qu’à agir.

Bien que je sois le plus inutile de l’armée, je ne laisserai d’assurer Votre Éminence que je n’épargnerai ni soin, ni peine, ni vie, pour servir le Roi en cette rencontre. Aussi espère-je de la bonté de Votre Éminence qu’elle me fera la grâce de me croire, Monseigneur, son très humble, très obéissant et très obligé serviteur, 

de Noyers

De La Petite-Pierre, ce XXVI^e juillet 1632

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