Le duc de Sully à Richelieu, Sully-sur-Loire, 31 juillet 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 804, f^° 304. Original autographe, dont la transcription a été publiée dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 364-365.

Monseigneur,

Le grand âge où je suis parvenu (non sans diverses épreuves des faveurs et des revers de la fortune) m’ayant donné sujet de croire que, de ne me restant plus que bien peu d’années à demeurer en ce monde, je désirais par conséquent tourner mon esprit et mes pensées plutôt vers les choses éternelles que les temporelles, et néanmoins les oracles divins ayant dénoncé que celui qui n’a nul soin de sa famille doit être estimé pire qu’un infidèle, j’eusse volontiers essayé (avant que de quitter la terre pour aller au ciel) à donner quelque ordre aux affaires de ma maison et partage de ma succession entre mes enfants. 

Et pour y parvenir avec plus de certitude et de solidité, de supplier en toute humilité la piété, sagesse et clémence de notre grand Roi de se vouloir contenter des peines et souffrances passées du marquis de Rosny (que je ne nierai point avoir été attirées sur lui plutôt par ses erreurs et imprudences que par celles d’autrui), et de recevoir la part que moi, étant innocent, ai prise en ses malheurs, nos longues pénitences, nos très humbles réquisitions de pardon et d’indulgence, et nos soumissions et protestations d’entière et continuelle obéissance pour expiation des fautes et offenses dont il peut être coupable, nous recevoir aux bonnes grâces de Sa royale Majesté à l’emploi de son très humble service, et admettre le marquis de Rosny en la fonction entière de son office de grand-maître de l’artillerie de France (de la réserve de laquelle il a plu au Roi de me gratifier par ses lettres patentes). 

Mais d’autant que je ne veux rien entreprendre qui vous puisse déplaire, voire qui ne vous soit agréable, j’ai voulu commencer mes instances par la supplication très humble que je vous fais maintenant de me vouloir honorer de la connaissance de vos sentiments sur un tel dessein, afin que, si mon malheur veut qu’ils se trouvent contraires à mes raisonnables souhaits, j’essaie de chercher d’autres expédients par lesquels, en ne vous déplaisant point, je puisse recevoir quelque espèce de consolation en mes tribulations, laquelle laisse mon esprit en repos en mourant, et en tout cas proportionner mes souhaits à vos volontés, en n’aspirant plus aux choses que ma mauvaise fortune, et non mes défauts, pourrait avoir rendues impossibles. Sur quoi attendant l’éclaircissement de vos intentions et l’honneur de vos commandements, je prierai le Créateur, Monseigneur, qu’il vous assiste continuellement de ses saintes grâces et bénédictions. 

De Sully, ce 31 juillet

C’est, votre très humble et très obéissant serviteur, 

Sully

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