Le maréchal de La Force à Richelieu, vers le 5 août 1632.

Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 802, f^° 423-424. Original de la main d’un secrétaire sauf la signature, le dernier paragraphe, et la formule finale autographes, dont la transcription a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 375-376.

Monseigneur,

Je n’ai manqué à toutes occasions de vous rendre compte de tout ce qui se passait de-deçà. Présentement je viens de recevoir celle qu’il vous a plu me faire l’honneur de m’écrire du troisième du courant, bien marri que je n’ai pu servir plus utilement que je n’ai fait. Je vous puis assurer, Monseigneur, que je n’y ai perdu ni temps ni moyen que j’aie eu de ce faire, et que ce n’a été non plus manque d’affection, et crois qu’il [eut] été malaisé de faire quelque chose de plus avec ce que j’ai. Lorsque je suis arrivé en ce lieu, j’ai trouvé les affaires en état que je ne pouvais m’avancer davantage dans le Languedoc. Premièrement, il s’est coulé cinq ou six jours de temps avant que j’aie pu y rallier l’infanterie, et de même la cavalerie, qui venait par terre. Et lorsque tout y a été arrivé, ils étaient si harassés que, de nécessité, il a fallu prendre quelque séjour pour les remettre.

Pendant ce temps-là, il est survenu tant d’affaires, soit du côté des Cévennes ou du Vivarais, de plusieurs avis qui m’étaient donnés de tous les côtés, pour écrire aux uns et aux autres, affermir ceux qui branlaient, assurer les places, mettre des garnisons à ceux qui en demandaient, donner quelques commissions pour retenir les hommes, et par des emplois les divertir de se jeter dans le parti de M. de Montmorency, qui avait donné plusieurs commissions de régiments, entre autres à Lestrange, à Naves et à Valon. D’ailleurs je dirai librement que j’étais en grande jalousie de cette place. Et M. le marquis de Gordes me disait toujours ma présence y être très nécessaire, et que, si je m’éloignais, tout ce pays se perdrait. Par-dessus tout cela, je ne pouvais pas m’avancer avec les troupes du Roi que je ne fusse assuré de quelles retraites je pourrais faire état en cas de besoin, et surtout de Nîmes, où je dépêchai le marquis de La Force avec huit cornettes de cavalerie, qui fut si à propos que M. de Montmorency n’en était qu’à une lieue pour le même effet, et faisait marcher Monsieur [le duc d’Orléans] bientôt après lui. Ayant manqué ce coup, il pensa le réparer à Beaucaire, à la faveur du château, où était Péraux [Henri de Faÿ-Peyraud], où il s’achemina. 

M. le maréchal de Vitry, qui s’était rendu à Tarascon, rallia quelques hommes, qu’il envoya pour fortifier ceux de la ville. En même temps, je fis embarquer le régiment d’Aiguebonne, qui y arriva si à propos, qu’avec la bonne résolution des habitants, ils se barricadèrent si bien contre le château que M. de Montmorency, qui s’était résolu de les forcer, se contenta, après quelques coups de canons et la perte de quelques-uns des siens, entre autres de Saint-Paul, de les fort menacer, puis se retira.

Monsieur ayant repris le chemin de Lunel, je verrai ce qu’il deviendra. Les avis que j’ai portent qu’il va à Albi. Ce que je crois, et tâcherai de me mettre en état le plus diligemment que je pourrai pour m’avancer vers Nîmes et Montpellier pour, s’il se peut, joindre M. le maréchal de Schomberg. Mais, ayant été obligé de séparer les forces que j’ai ici pour la conservation des places, il sera malaisé que ce puisse être si tôt. 

J’ai jeté dans la ville de Beaucaire deux régiments, celui d’Aiguebonne et de Vitry. Dans le Vivarais, pour prévenir le dessein des ennemis, j’y ai envoyé le régiment de Vaubecourt, et neuf compagnies de Sault, le reste, qui est six, en cette ville pour la sûreté de la place, de sorte qu’il ne me reste que celui de Tonneins et d’Alincourt. Outre ce, il m’a fallu disperser plusieurs compagnies en divers lieux pour les conserver. D’artillerie, qui est un grand manquement, je n’en ai, ni n’en puis avoir, ni munitions que ce qui en peut venir de Lyon, et l’attelage.

Je vous supplie très humblement de croire, Monseigneur, que j’ai tant d’affection à bien servir que je ne puis supporter qu’avec grand déplaisir de me voir dépourvu de tout comme je suis, ainsi qu’il vous plaira voir plus particulièrement par ce mémoire, tant y a que je tâcherai de suppléer à tout autant qu’il me sera possible, et de me rendre si heureux que de vous faire paraître au prix de ma vie que personne du monde n’est plus que moi, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur, 

Caumont La Force

Monseigneur, je ne doute point que votre déplaisir en la perte de M. le maréchal d’Effiat ne soit extrême, car vous connaissiez son mérite et sa valeur. La perte en est publique et, selon mon jugement, c’était un des rares hommes que j’aie jamais vu, lequel ce trouvera bien à dire, moi, en mon particulier, à merveilles, car il m’avait juré une fort étroite amitié, le dernier voyage que nous avions fait ensemble. Je vous assure, Monseigneur, que j’apprends de plusieurs endroits que toutes les troupes de Monsieur ont une si grande appréhension de la venue du Roi de-deçà qu’ils disent ouvertement que, si cela est, ils délogeront bientôt, et qu’ils n’attendront pas qu’il soit à mi-chemin. L’on m’a donné avis qu’assurément Monsieur et M. de Montmorency ont envoyé vers le comte de Gramont. Vous pouvez savoir s’il y a rien à craindre de ce côté-là. Si les forces qu’il vous plaît me mander que doit mener M. le maréchal de Châtillon étaient bientôt de-deçà, nous ferions des merveilles.

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