Texte 958, années 1630, 1631, 1634, chapitre 5/21 du Journal… de Richelieu… durant le grand orage

Chapitre 5/21 du Journal de Monsieur le cardinal duc de Richelieu, qu’il a fait durant le grand Orage de la Cour en l’Année 1630 et 1631, tiré de ses mémoires qu’il a écrits de sa main, avec diverses autres pièces remarquables, qui sont arrivées en son temps.

Texte établi d’après la minute conservée à la Bibliothèque Nationale de France, collection Baluze, volume 145, consultable sur Gallica, et accessible via ce lien. Le document manuscrit, majoritairement de la main du premier secrétaire de Richelieu, Denis Charpentier, est cependant corrigé de la main même du cardinal-ministre et annoté de la main de Pierre Cherré, autre secrétaire de Richelieu.

Cette version préparatoire du Journal de Monsieur le cardinal de Richelieu, qu’il a fait durant le grand orage de la cour ez années 1630 et 1631, est supervisée par Claude Bouthillier en 1634. Une autre version du Journal de Monsieur le cardinal de Richelieu, qu’il a fait durant le grand orage de la cour ez années 1630 et 1631 est conservée au Ministère des Affaires étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, collection Mémoires et Documents France, volume 69. Ce second document inclut des pièces détachées, publiées avec le Journal en 1648, qui n’apparaissent pas au document préparatoire conservé à la BnF. La période couverte par cette seconde version s’étend jusqu’à 1642.

Se reporter à la table des matières du Journal… de Richelieu…, publiée en ligne, texte 579.

Irréconciliation [sic] de la Reine mère avec Monsieur le cardinal.

Le 17e novembre 1630, le père Chrisostome, gardien de Picpus, dit à Monsieur de Châteauneuf qu’il avait vu 2 jours auparavant la Reine mère qui lui avait dit après plusieurs discours qu’elle ne se plaignait point du cardinal pour son particulier, mais bien de ce qu’il avait mal servi le Roi en ce que les affaires d’État étaient s’en dessus-dessous et que le pauvre peuple n’en pouvait plus.

Est à noter que la Reine parle et agit avec le religieux comme avec un homme qu’elle croit avoir des révélations. Elle l’envoya l’an passé en Espagne pour voir Doña Louise de Larron qu’on tient une sainte révélante [sic] pour la consulter1

Il [le père Chrysostome] dit encore qu’il avait reconnu cette affaire irréconciliable dans son esprit.

Le 19e, la Reine vint voir le Roi, qui la reçut parfaitement bien.

Auparavant, elle avait témoigné au premier Président [au parlement de Paris, Nicolas Lejay], et Vautier l’avait mandé par Martin2, que, si le Roi lui parlait du cardinal, elle lui témoignerait préférer l’intérêt de ses affaires à son contentement et consentirait qu’il servît comme auparavant. Cependant, comme le Roi la pria de trouver bon de le voir indifféremment dans ses Conseils, elle répondit qu’elle ne le voulait jamais voir et qu’elle mourrait plutôt.

À quoi le Roi répartit, à ce qu’il a dit au garde des sceaux [le marquis de Châteauneuf], à Bouthillier et au cardinal, qu’il l’honorerait et la servirait toujours comme il devait, mais qu’il était obligé de maintenir le cardinal jusqu’à la mort.

Le 27e, Nogent l’a vue, en présence de Monsieur de Montbazon, si outrée de colère que ce qu’il en a rapporté au cardinal lui a crevé le cœur et fait souhaiter être hors du monde pour le respect qu’il lui porte.

Le 28e, elle a dit à Bullion qu’elle attendrait son temps auquel le Roi ouvrirait les yeux et les oreilles.

Qu’elle mourrait plutôt que de voir jamais le cardinal. 

Elle a témoigné une extraordinaire aigreur.

Le père Chrisostome susnommé a dit à Monsieur de Châteauneuf le 4e décembre, à Saint-Germain, qu’il avait vu deux fois la Reine depuis son déplaisir et a été fort longtemps enfermé avec elle chaque fois,  qu’il ne la juge pas réconciliable, qu’il lui a demandé ce qu’elle avait à dire contre le cardinal, lui disant qu’on trouvait fort étrange ce qu’elle avait fait contre un homme qui a bien servi, qu’elle lui avait répondu qu’il ne lui avait point fait de déplaisir en son particulier, qu’il était vrai qu’il avait bien servi, mais qu’il était ambitieux, qu’il voulait être comme tuteur de son fils, qu’il avait tout crédit auprès de lui, qu’on lui avait prédit qu’elle devait être malheureuse et que le cardinal serait toujours heureux et ne perdrait point son crédit, quoi qu’il arrivât3.

Le Roi n’a pas besoin de tuteur, mais tous les grands rois ont bien besoin de fidèles conseillers et ceux qui en ont de bons ne sont pas les plus malheureux4.

Le religieux [le père Chrysostome] dit qu’il lui représenta que cela la devait convier à se réconcilier avec le cardinal et le remettre en l’honneur de sa bienveillance, mais qu’il a connu qu’elle ne le ferait pas, témoignant une entière obstination.

Il l’a revue le 6 ou 7e dudit mois [décembre 1630], où il la trouva aussi aigre que de coutume.

Il dit qu’il dit à la Reine librement qu’on trouvait aussi étrange qu’un certain médecin nommé Vautier eût tant de crédit près d’elle, ce qu’elle écouta, passant légèrement sur ce discours et lui disant qu’il ne se mêlait que de la médecine et qu’on lui en voulait parce qu’il lui était fidèle et qu’il ne fallait pas prendre garde à tout ce qu’on disait5.

Le 21e janvier 1631, le premier Président [Nicolas Lejay], étant venu voir Monsieur le cardinal, lui a dit que Vautier, l’ayant vue [Marie de Médicis] deux jours auparavant, lui avait dit en termes exprès que la Reine espérait que Dieu la vengerait. Ce qui montre la rage de ce malheureux [Vautier], qui fait parler sa maîtresse en termes dont elle ne voudrait pas user, où il ne s’agit et ne s’est rien fait que ce qui est nécessaire pour maintenir l’autorité du Roi.

Le 24e dudit mois, le premier Président vit la Reine pour lui demander une charité pour les pauvres. Ensuite, il vint à parler de moi6, sur quoi elle lui témoigna plus d’aigreur que jamais.

Elle l’avoua le jour d’après au père Suffren, disant qu’elle s’y était portée parce que le premier Président lui avait dit qu’en fin, on l’éloignerait de la Cour.

Le père Suffren ayant fait ce rapport au cardinal, il envoya Desroches savoir du premier Président s’il avait tenu ce mauvais discours, qu’il soutint au père Suffren ne pouvoir, à son avis, être sorti de sa bouche. Il lui manda que comme la Reine lui disait qu’elle ne voulait point se mêler d’affaires, qu’elle ne s’en souciait pas. Il lui avait dit qu’elle ne devait pas, à son avis, dire ni prendre ces résolutions, qu’ayant toujours été dans le maniement des affaires, il lui serait bien fâcheux de vivre en particulière et personne privée comme elle disait. 

Sur cela, la Reine prit occasion de se plaindre qu’il l’avait menacée qu’on l’éloignerait de la Cour.

La Reine en fit plainte au Roi, comme aussi de ce qu’elle disait que ledit premier Président lui avait dit que le Roi lui ôterait son médecin, la Reine ajoutant qu’elle ne croyait pas que le Roi lui voulût faire ce préjudice, vu qu’il n’y avait que Vautier qui connût son tempérament.

Le Roi répondit qu’il désirait la conservation de la santé de la Reine comme la sienne propre et qu’il n’avait jamais pensé à tout ce qu’elle lui disait.

Le Roi ayant fait l’honneur au cardinal de lui dire tout ce qui s’était passé en cela, il trouva bon qu’il vît le premier Président, qu’il envoya prier de passer chez lui, ce qu’il fit le lendemain 27e. Il l’assura de n’avoir point parlé à la Reine de chose quelconque qui approchât de son éloignement, ainsi qu’elle le disait. Aussi peu qu’on voulut ôter Vautier, que bien avait-il dit souvent à Vautier qu’il devait craindre de ne pouvoir soutenir le faix qu’il s’était mis sur les épaules et que difficilement se conserverait-il la place où il était s’il n’était bien avec le Roi et ses serviteurs particuliers.

Le premier Président dit de plus audit sieur cardinal pour prouver son dire que Vautier lui avait envoyé le soir auparavant son homme d’affaires pour lui faire excuse de ce que la Reine avait mis son nom en jeu, disant qu’elle l’avait fait parce que quand on dirait qu’elle aurait trouvé mauvais qu’un premier Président de Paris lui parlât sur le sujet du cardinal, nul autre en oserait plus parler.

Le 25e janvier, Messieurs de Tresmes et de Fossé dirent au cardinal que bien que Cotignon, il y avait sept ou huit jours, leur eût donné par ses discours grande espérance que la Reine voudrait faire un bon accommodement, il leur avait dit nettement depuis deux jours qu’il avait voulu voir ce qui se pourrait faire sur ce sujet, qu’il n’était pas temps de parler de cette affaire, que la Reine n’était pas en ceste humeur.

Donc ils concluaient qu’elle avait depuis peu quelque nouvelle espérance, ce dont ils avertissaient ledit sieur cardinal. Le même jour, Paillères vint voir ledit sieur cardinal et lui dit qu’elle [la Reine mère] l’avait appelé il y avait trois jours et, après lui avoir fait plusieurs questions, lui avait témoigné une aigreur très grande.

Le père Chrisostome a vu la Reine le 7e décembre où il a reconnu en elle autant d’aigreur que jamais. Elle lui a dit qu’elle voulait mal au cardinal pour l’état auquel il avait mis la France, l’État étant ruiné, et forces choses en ce genre.

Est à noter qu’au même temps qu’elle a témoigné cette extraordinaire aigreur au père Chrisostome, elle a témoigné à Monsieur le cardinal de Bagne et au père Suffren n’en avoir plus et vouloir s’accommoder5.

Sur ce qu’il [le père Chrysostome] lui répartit [répartit à la reine mère] que tout le monde estimait le contraire, elle lui dit que le peuple était une bête, et qu’il ne fallait pas prendre garde à ce qu’il disait.

Ledit père a revu la Reine le 11 ou 12e et l’a trouvée, à ce qu’il a rapporté à Monsieur le garde des sceaux, toute abattue comme une personne qui sort d’une grande fièvre à qui l’étonnement demeure après que le feu est éteint5.

Elle parla fort contre Monsieur Bouthillier, l’accusant d’aider à tous les mauvais conseils qu’elle disait que le cardinal prenait contre elle.

Elle a dit au sieur de Nogent que Dieu ne payait pas toutes les semaines, mais qu’enfin il payait. D’où elle concluait qu’avec le temps, elle viendrait à bout de son dessein contre le cardinal.

La Reine a dit en présence de Monsieur de Bullion : « je prendrai mon temps, je le trouverai, et ferai ce que je veux ». Ledit sieur de Bullion a dit à Monsieur le cardinal qu’elle a dit autrefois : « je me donnerais plutôt au Diable que je ne me vengeasse ».

Monsieur [le duc d’Orléans] a dit à Marchéville le *** mars que le cardinal avait bien fait de ne flatter point la Reine, parce qu’elle ne lui pardonnerait jamais. 

Monsieur de Bellegarde a dit à Monsieur du Châtelet que la Reine ne pardonnerait jamais à Monsieur le cardinal.

Le père Chrisostome a dit à Monsieur le garde des sceaux, lorsqu’il alla à Paris la semaine sainte 1631, qu’il voulait l’avertir qu’en l’humeur qu’était la Reine, quelque accord qu’on pût faire avec elle, il n’y avait que tromperie, qu’il lui disait afin n’y fût pas trompé si l’on ne voulait.

Le Pape dit au Nonce [Alexandre Bichi] en partant : « vous verrez la Reine mère. C’est une princesse dont les inclinations vont à l’Espagne, qui n’aime son fils qu’en tant que son intérêt le requiert et qui a une telle tête qu’un marteau romprait plutôt le fer ».

Marie-Catherine Vignal Souleyreau

Docteur en Histoire, ingénieur d'études à Sorbonne Université, Faculté des Lettres, Institut de Recherche sur les Civilisations de l'Occident Moderne (IRCOM - Centre Roland Mousnier)

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  1. Le paragraphe, de la main de Pierre Cherré, ne figure pas dans l’édition de 1648. Il sous-entend déjà le goût de Marie de Médicis pour les superstitions et pour l’astrologie, comme le souligne encore la suite du texte, au chapitre 10, translation à venir. On peut par ailleurs noter que le père Charles de Condren, de l’Oratoire, confesseur du duc d’Orléans, dont il est question au chapitre 6, translation à venir, est l’auteur d’un Discours sur l’astrologie fait par le commandement de Monseigneur le cardinal de Richelieu et d’un Traité des équivoques faict aussy par le commandement dudict seigneur, parus dans les Discours et lettres du R. P. Charles de Condren, à Paris, en 1643 puis en 1648, voir Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du cardinal de Richelieu, Paris, Imprimerie Nationale, 1853-1877, en 8 volumes, Collection des documents inédits de l’histoire de France, tome VIII, p. 130. []
  2. Il pourrait aussi bien s’agir d’Isaac Martin, seigneur de Mauroy, que de Pierre Martin, seigneur de La Martinière. []
  3. Outre le caractère superstitieux de Marie de Médicis, sa propension à infantiliser le Roi est à dessein mise-en-avant ici, comme pour jouer de l’humiliation certaine qu’en éprouverait le souverain. []
  4. La phrase, de la main de Pierre Cherré, semble avoir été ajouté comme contre-argument au paragraphe précédent. Elle est absente de l’édition de 1648. []
  5. Le paragraphe, de la main de Pierre Cherré, ne figure pas dans l’édition de 1648. [] [] []
  6. L’emploi de la première personne montre que c’est bien Richelieu qui dicte. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marie-Catherine Vignal Souleyreau (9 janvier 2025). Texte 958, années 1630, 1631, 1634, chapitre 5/21 du Journal… de Richelieu… durant le grand orage. Correspondance et papiers d'État du cardinal de Richelieu. Consulté le 16 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/131nf


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