Anne Mangot de Villarceaux à Richelieu, Carcassonne, 16 août 1632.
Ministère des Affaires Étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 1628, f° 210-211. Original autographe. Le texte original a été publié dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 390-391.
Monseigneur,
Depuis trois semaines, j’ai vu deux révolutions dans cette province. La défection de M. de Montmorency d’abord émeut et altère tout esprit. Toute la noblesse se révolte. Les peuples étaient ébranlés. Tout semblait disposé à un soulèvement universel, dont le principal fondement était l’impossibilité qu’on mettait dans l’esprit de tout le monde que le Roi peut venir par-deçà. Aujourd’hui, l’espérance en laquelle on est de l’arrivée de Sa Majesté fait tomber les armes à ses ennemis et met les affaires en tout autre état.
J’avais commencé d’informer contre M. de Mirepoix. Il s’est dédit de ce qu’il avait fait et empêché qu’il ne me vienne d’autres témoins. J’envoie à M. le garde des sceaux [le marquis de Châteauneuf] l’information que j’avais commencée.
M. le comte de Moret, lieutenant général de l’armée du Haut-Languedoc, a été à Rieux[-Minervois], à trois lieues d’ici, il y a quatre ou cinq jours. Pour son premier exploit, il a attaqué Laure, un bon bourg à une lieue de Rieux, l’a fait environner de sa cavalerie et de l’infanterie qu’il a pu ramasser, l’a fait sommer plusieurs fois par son trompette de se rendre. On lui a répondu à coup d’arquebuses. Il a été toute une nuit en embuscade d’un côté, et le comte de Rieux de l’autre, pour défaire les soldats qui y étaient envoyés de cette ville-ci. Et rien ne lui a réussi. Les soldats n’y entrèrent cette nuit-là, et ni celle d’après. N’ayant rien su gagner, il est allé à Albi par La Bruière [Labruguière], maison du comte de Bioule, qui l’a reçu chez lui.
Tous les bourgs qui se peuvent le moins du monde défendre tiennent bon, et ce qui est de mieux, Monseigneur, en tout ceci, est que la révolte n’est point dans les peuples. On ne se parle point d’élus, c’est un prétexte inutile.
Les ennemis ont grande peine à lever des gens de guerre. La plus forte compagnie qu’il y ait en ce Haut-Languedoc n’est pas de 50 hommes. Je viens, Monseigneur, d’apprendre pour certain que Monseigneur le duc d’Orléans était à Frontignan le 13 du courant, coucha le même jour à Pézenas, et le 14 devait être à Béziers, avait dans sa suite 1 200 chevaux, ou environ. On disait qu’il devait aller vers Toulouse, qui était la route qu’on croyait au commencement de ces mouvements qu’il dût prendre. On commence de fortifier Béziers puissamment. On fait de grands bastions du côté de Montpellier. Je viens présentement d’envoyer prendre à trois lieues d’ici, et ai fait conduire ici un député du tiers-état qui a parlé du Roi très scandaleusement.
Il ne se présentera jamais d’occasion, Monseigneur, de servir le Roi, et vous en particulier, que je ne me sacrifie plutôt que de manquer de rendre une action d’un bon et fidèle Français et d’une personne qui sera toute sa vie, Monseigneur, de Votre Grandeur, votre très humble, très obéissant serviteur,
De Carcassonne, le 16 août 1632
- L’identification du signataire est données par Jean de Bertier de Montrave, dans le courrier qu’il adresse à Richelieu, de Toulouse, le 13 août 1632, et dont la transcription a été publiée dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance du cardinal de Richelieu : au faîte du pouvoir, l’année 1632, Paris, éditions L’Harmattan, 2007, p. 387-388, et translation publiée en ligne, texte 950. Anne Mangot de Villarceaux a trois frères susceptibles de signer de la même manière : Claude III Mangot, seigneur de Villeran († 1652), aîné de la fratrie, reçu conseiller au parlement de Paris le 7 décembre 1618, puis maître des requêtes en 1628, qui a épousé Hélène de La Flèche († 1660) ; Jacques Mangot, seigneur d’Orgères, conseiller au Grand Conseil puis maître des requêtes et intendant de justice, police et finances en Alsace et au comté de Montbéliard en 1637, qui a épousé Madeleine Garnier ; Mathurin (ou Edme) Mangot († 1658), abbé commendataire de l’abbaye de Sainte-Colombe-lès-Sens. [↩]
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Marie-Catherine Vignal Souleyreau (26 janvier 2025). Texte 964, année 1632, 16 août, Anne Mangot de Villarceaux à Richelieu. Correspondance et papiers d'État du cardinal de Richelieu. Consulté le 26 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1360g