Abel Servien à Richelieu, Paris, 16 novembre 1635.
Ministère des Affaires étrangères, archives diplomatiques, centre de La Courneuve, coll. Mémoires & Documents France, vol. 816, f° 124-125. Original de la main du secrétaire d’Abel Servien, dont la transcription a été publiée dans Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), “La raison de guerre” : correspondance du cardinal de Richelieu, année 1635, Paris, éditions L’Harmattan, 2016, p. 537-539.
Le signataire attire l’attention de Richelieu sur la vulnérabilité des troupes françaises stationnées dans la région de Vic-sur-Seille. Il se fait le relais d’informateurs résidant en Lorraine et en Alsace et souligne les difficultés logistiques auxquelles l’armée placée sous les ordres du maréchal de La Force et du duc d’Angoulême est confrontée. Voir aussi la réponse que fait Richelieu à Abel Servien le lendemain, translation publiée en ligne, texte 972.
À Paris, ce XVIe novembre 1635.
Le sieur Gallay vient de me donner un avis qui semble ne devoir pas être méprisé. Il m’a demandé si le duc Charles tenait Dieuze, et que cela étant, il pourrait inonder Marsal, Moyenvic et tout le camp de l’armée du Roi si elle était retranchée à Vic proche de la rivière, en rompant la chaussée de l’étang de Lindre qui a huit ou dix lieues de tour, qu’en tout cas il pouvait en un instant grossir tellement la rivière de Seille, que si l’armée se trouvait logée des deux côtés de la rivière, elle ne saurait se rassembler les ponts étant emportés, et que Galasse aurait le choix d’attaquer la partie qu’il voudrait, que ledit Galasse avait autrefois par un semblable stratagème défait une partie des troupes de l’évêque d’Albrestat [Halberstadt], et que le duc Charles lui découvrit il y a quelques années qu’il avait ce moyen de ruiner Marsal et Moyenvic et d’inonder toute la campagne jusqu’à Metz. Ils pourraient bien encore avoir ce dessein qui serait infaillible, du moins pour favoriser leur retraite s’ils y étaient forcés.
Le sieur de Manicamp m’a écrit qu’un nommé Plainville, qui a été longtemps en Piémont et qui est un esprit dangereux, est dans Colmar il y a quelque temps sous prétexte d’accompagner un gentilhomme son ami qui recherche une demoiselle qui est dans cette ville1. Ce sujet n’est pas si légitime pour justifier le séjour d’une personne inutile et suspecte dans une place frontière qu’il n’y ait raison de l’en faire sortir si Son Éminence approuve qu’on en donne ordre audit sieur de Manicamp. Il a écrit à son enseigne qu’il est à l’extrémité pour les vivres et que les habitants lui en refusent de leur magasin, que s’il y avait de l’argent du Roi à Strasbourg, il pourrait avoir des blés, ou dudit Strasbourg ou du gouverneur de Benfeld2 qui lui en promet pour de l’argent.
L’argent que l’on avait donné aux sieurs Gobelin et Gagnot n’y a pu encore passer. Le chemin se rend si difficile par là que je crois qu’il faut promptement, si on veut éviter la perte des places de l’Alsace, ou faire porter vingt <mille> écus à Bâle pour de là prendre l’occasion de les jeter dans Colmar ou Strasbourg, ou bien passer par les mains des banquiers qui demandent trop grosse remise pour payer dans Strasbourg ce qu’on leur fournira dans <…>. Je dois avoir réponse aujourd’hui si cela se peut par cette dernière voie et sous quelles conditions, dont je donnerai avis à Son Éminence.
Messieurs les surintendants [Claude de Bullion et Claude Bouthillier] sont demeurés d’accord de fournir cette somme en comprenant les dix mille écus qu’ils ont déjà envoyés, lesquels pourront servir à composer la montre de l’armée que l’on envoie présentement si l’on ne trouve une meilleure commodité pour les faire <porter> à Strasbourg.
Le sieur de Peyrins m’a dit qu’il y a quantité de vieilles armes dans Casal que l’on peut avoir presque pour rien, et s’en servir en les faisant raccommoder. Si Son Éminence l’a agréable, j’enverrai ordre à Monsieur Le Camus d’en rassembler ce qu’il pourra. Monsieur de Malessy se plaint qu’on a épuisé ses magasins de munitions de guerre et qu’on ne les remplace point. Il est nécessaire d’écrire à Monsieur d’Hémery d’y travailler en toute diligence. Tous ceux qui écrivent de ce pays-là y représentent les affaires en grande confusion. J’essaierai de faire sceller aujourd’hui les commissions que Son Éminence m’ordonne par son billet de la nuit passée de tenir prêtes. Demain j’aurai l’honneur de lui envoyer celles de Bretagne.
Je n’estime pas que la somme de cinq cents soixante mille livres que Messieurs les surintendants ont promis pour les levées de l’infanterie française puissent servir pour plus, compris la subsistance et les routes, que pour trois cents compagnies faisant trente mille hommes. Si je puis, j’en enverrai dès ce soir le détail auquel je travaille. Outre cela, Monsieur de Bullion a promis pour les levées estrangères huit cent trente mille livres qui suffiront pour la levée de quatre mille cosaques, trois mille cinq cents reîtres et dix mille hommes de pied polonais ou allemands qui doivent être tirés de Pologne des troupes du landgrave de Hesse[-Cassel] et de quelques autres endroits de l’Allemagne, qui est le sujet pour lequel on a envoyé des capitulations à Monsieur le maréchal de Brézé. Monsieur de Bullion consent encore que l’on donne les armes aux deux mille chevaux des compagnies de gendarmes des provinces. Outre tout ce que dessus, l’on peut encor lever les six <mille> chevaux qui doivent être entretenus du million d’or <…> l’invention de Son Éminence. Monsieur de Manes [sic] offre de remettre son régiment au même état qu’il a été, pourvu qu’on ordonne à Monsieur le maréchal de Vitry de lui laisser faire sa recrue en Provence. Le sieur de Peyrins assure que c’était un des meilleurs nouveaux régiments qu’il eût jamais vus, et composé de meilleurs officiers.
À Monseigneur.
- Il reste difficile d’identifier ce sieur de Plainville. Charles d’Estourmel, seigneur de Plainville (aujourd’hui département de l’Oise), gouverneur de Corbie, capitaine de la garde écossaise du Roi, fondateur du couvent des feuillants d’Amiens, est décédé sans héritier en 1618, laissant ses possessions à sa sœur Anne. [↩]
- La forteresse de Benfeld (aujourd’hui département du Bas-Rhin, arrondissement de Sélestat-Erstein, canton d’Erstein) a été modernisée par l’ingénieur Ascagne Albertini. Gustav Horn, au nom du roi de Suède, s’en est emparé en 1632. En 1633, la place est placée sous le commandement de Christian de Birkenfeld, pour le compte du rhingrave Othon-Louis de Salm. Elle est exclue du traité franco-suédois du 9 octobre 1634 prévoyant la remise à la France des forteresses alsaciennes conquises par les Suédois. [↩]
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Marie-Catherine Vignal Souleyreau (11 février 2025). Texte 971, année 1635, 16 novembre, Abel Servien à Richelieu. Correspondance et papiers d'État du cardinal de Richelieu. Consulté le 26 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13ap1